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Une fenêtre sur la Méditerranée
2006-2018
Florence MABILEAU
En 2019, le Conseil de l’Europe fêtera ses 70 ans et ce sera l’occasion de présenter ses actions en matière de promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit dans ses 47 Etats membres. Toutefois, au cours des années et pour répondre aux problématiques sociétales auxquelles se voyaient confrontés les citoyens de la grande Europe, le Conseil de l’Europe a élargi ses activités à de nombreux domaines, notamment à celui de la lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants, qui est la mission du Groupe Pompidou.
Le Groupe Pompidou est un forum multidisciplinaire à l’échelle de la Grande Europe et au-delà qui permet aux responsables politiques, aux professionnels et aux chercheurs d’échanger expériences et informations sur l’abus et le trafic de drogues. Créé en 1971 à l’initiative du Président français Georges Pompidou, il est devenu dès 1980 un « accord partiel élargi » du Conseil de l’Europe. En 2018, il rassemble 39 pays : 36 parmi les 47 États membres du Conseil de l’Europe ainsi que le Mexique, le Maroc, Israël, et la Commission Européenne.
En 2019, l’anniversaire de la création du Conseil de l’Europe coïncidera pour moi avec un autre anniversaire : l’ouverture du Groupe Pompidou à la coopération avec la Méditerranée dès 1999. Cette époque précédait le printemps arabe et anticipait la politique de voisinage du Conseil de l’Europe de 2011 dont l’objet est de favoriser le dialogue et la coopération avec les régions et pays voisins de l’Europe qui sollicitent l’assistance du Conseil de l’Europe en s’appuyant sur les valeurs communes que sont les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit.
Comme toutes les histoires ou contes de fées, celle-ci débute par il était une fois.
Il était une fois, en 1999, un pays au milieu de la Méditerranée, petit par la taille mais grand par sa position stratégique qui lança l’idée de réunir sur son sol à Malte, sous l’égide du Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe, une vingtaine de pays de la Méditerranée (rive nord et rive sud) pour réfléchir à la façon de coopérer sur la question des drogues et des addictions dans la région méditerranée. Pour les pays de la rive sud dont la population est très jeune, l’objectif était de déterminer dans quelle mesure ces jeunes constituaient une population à risque pour la consommation de drogues : existait-il un véritable fléau parmi cette jeunesse qui représentait l’avenir de ces pays ? Pour les pays de la rive nord, il s’agissait de voir quel type de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic de drogues pouvait être mis en place. Parmi tous les pays représentés, des représentants israéliens et palestiniens étaient présents côte à côte, l’un ayant aidé l’autre à obtenir son visa. C’est cette fraternité qui se manifesta déjà à l’époque entre participants de pays dont les politiques s’opposaient qui s’est poursuivie et continue à perdurer dans l’ensemble des activités qui sont menées dans le cadre de cette politique de voisinage du Groupe Pompidou avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
La réponse qui s’imposa lors de cette première Conférence, à l’époque, semblait simple et limpide : mettre en place un réseau en région méditerranée.
A partir de la volonté commune de l’ensemble de ces pays, et pratiquement sans financement, l’action du Groupe Pompidou et de son secrétariat pour répondre à ce souhait fut la suivante.
Evaluons d’abord la situation, essayons de déterminer l’ampleur de la consommation de drogues parmi la population et en particulier parmi la population jeune qui est majoritaire dans les pays de la méditerranée, regardons ce qui se passe parmi la population scolaire, utilisons les outils à notre disposition et qui sont reconnus, appuyons-nous sur une méthodologie fiable et validée : l’enquête scolaire ESPAD (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs).
De 2000 à 2006, très pragmatiquement, le Groupe Pompidou s’attela ainsi à la tâche d’adapter la méthodologie européenne ESPAD au contexte méditerranéen. Ceci signifiait faire accepter que dans les écoles de la région méditerranéenne, des questionnaires anonymes sur la question des attitudes et de la consommation, de l’alcool, du tabac et d’autres drogues soient administrés aux élèves non seulement avec l’accord des parents, mais aussi des différentes autorités : Ministère de l’Education et Ministère de la Santé. Pas si simple finalement de s’adapter à une autre culture, un autre contexte. Heureusement, nous étions aussi aidés par des experts natifs de la région en faveur de cette méthodologie et par le fait que notre appartenance au Conseil de l’Europe ajoutait une crédibilité à notre mission.
Certes, Le Groupe Pompidou disposait d’une expertise en la matière dans la mesure où cette méthodologie d’enquête scolaire, utilisée par 35 pays européens pour mener des enquêtes régulières tous les quatre ans dans les écoles, trouvait son origine dans les travaux du groupe d’experts en épidémiologie du Groupe Pompidou, au début des années 80-90 à une époque, où il n’existait pas encore ou très peu d’indicateurs de l’épidémiologie des problèmes de drogues en Europe.
Les experts du Groupe Pompidou de la France, de Malte et des Pays-Bas, travaillèrent ainsi de concert avec leurs homologues de l’Algérie et du Maroc pour arriver non seulement à mettre au point un questionnaire méditerranéen MedSPAD mais aussi à dépasser les tabous soulevés par la question des drogues, considérée comme un fléau non seulement par les parents, les élèves mais aussi par les institutions scolaires et les administrations des services de santé, d’éducation, et de justice.
Le lancement du projet MedSPAD eut officiellement lieu à Rabat en janvier 2003 suite à la rencontre entre le Secrétaire Exécutif du Groupe Pompidou que j’accompagnais et le Ministre de la Santé de l’époque. L’heure de ce rendez-vous n’était pas fixée et nous attendions que le Ministre nous convoque, dans l’extraordinaire parc du Chellah à Rabat, au milieu des cigognes qui auraient pu être celles du parc de l’Orangerie.
Les premières enquêtes MedSPAD virent le jour en 2005 dans les villes d’Alger et de Rabat. A l’issue de ces enquêtes scolaires pilotes réalisées avec succès, elles furent menées au niveau national au Maroc et au Liban et plus tard en Algérie. En parallèle, la même année, une psychiatre nous invita avec des experts marocains et français à participer à un séminaire de plaidoyer sur la nécessité d’une politique drogues dans un amphithéatre comble de la faculté de médecine de Tunis.
Parallèlement à ce travail de recherche, d’évaluation de la situation, en 2006 deux pays, la France et les Pays-Bas, liés par des intérêts communs pour lutter contre le trafic de drogues dans le cadre d’un accord bilatéral - le Groupe à Haut Niveau Franco Néerlandais sur les drogues - relancèrent l’idée de la création d’un réseau méditerranéen de coopération sur les drogues et les addictions en s’appuyant sur une étude de faisabilité de création d’un tel réseau auprès de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, pays avec lesquels le Groupe Pompidou travaillait déjà dans le cadre de MedSPAD.
Cette étude s’avéra positive et ainsi sept ans de réflexion mais aussi d’action aboutirent à la naissance officielle de MedNET en 2006, regroupant tout d’abord ces trois pays d’Afrique du Nord, bientôt suivi d’autres pays :
le Liban, l’Italie, l’Espagne en 2007, la Tunisie en 2009, la Jordanie, l’Egypte et Chypre en 2010, la Grèce en 2011, la Croatie et la Palestine* en 2017.
La coordination et l’administration de ce réseau me furent confiées au sein du Secrétariat du Groupe Pompidou.
La première conférence officielle MedNET internationale eut lieu à Alger en 2006. Organisée par l’Office National de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie, nous fûmes accueillis avec un faste auquel nous n’étions pas habitués. Tapis rouge dès notre descente de l’avion, passage de douanes en VIP et voitures avec chauffeurs et gardes du corps qui circulaient à toute vitesse jusqu’à une résidence appartenant à l’armée. Tous les corps des services répressifs étaient présents parmi l’audience, ainsi que les représentants des différents ministères. Le Ministre de la Santé ouvrit la conférence et fut également présent parmi les nombreuses conférences qui se déroulèrent en Algérie au cours des années qui suivirent. Nous fûmes également reçus, à l’issue de la conférence dans la résidence du Président de la République.
Dans les autres pays de la Méditerranée, nous avons rencontré à la fois des Ministres et des ONG très actives et fières de participer à des activités internationales sous l’égide du Conseil de l’Europe. A chaque fois, nous avons été reçus avec un enthousiasme et une volonté de répondre aux exigences en matière des droits de l’homme préconisées par notre organisation. Nous avons plusieurs fois eu l’impression de remplir notre « mission » et de servir à l’édification d’une coopération plus étroite entre non seulement les pays du Sud et du Nord mais également les pays du Sud entre eux. Ce sont des quantités de passerelles que nous avons été amenés à édifier jour après jour.
Lors d’un séminaire régional dans un des pays hôtes, nous avons aussi eu l’impression de contribuer à changer la vision du monde, passant ainsi en 48 heures grâce aux échanges enflammés de l’assistance, d’une approche très répressive du consommateur de drogues à une approche santé publique et droits de l’homme dans laquelle celui-ci est perçu comme une personne souffrant d’un problème d’addiction ayant droit à une prise en charge de sa maladie par un système de santé, comme n’importe quel malade.
Au Liban, en 2009, une table ronde fut interrompue pendant deux heures pour que les psychiatres libanais de différentes écoles et appartenances politiques, puissent se mettre d’accord entre eux sur la prise en charge et le traitement des consommateurs de drogues, discussion qui n’aurait pu avoir lieu sans la participation d’une organisation internationale.
En Tunisie, au lendemain de la révolution, en 2012, nous avons eu le privilège de discuter avec un Ministre de la Santé qui avait subi la torture et la prison et qui prit le temps de rester avec nous et de manifester son intérêt pour le développement d’une stratégie nationale en matière d’addiction, équilibrée et cohérente, telle que préconisée par le Groupe Pompidou.
En Egypte, lors de notre premier séminaire, en 2010, avec nos collègues des Nations Unies, nous avons tout de suite ressenti l’intérêt et l’avidité à apprendre davantage de nos partenaires égyptiens. Quelques années plus tard, nous avons pu visiter le service créé spécialement pour les femmes consommatrices de drogues dans un hôpital du Caire suite au projet que nous avions mené avec eux et encore une fois, nous avons pu ressentir leur fierté et reconnaissance d’avoir réussi à mettre en place un tel service pour les femmes dans la région.
Aujourd’hui, en 2018, MedNET a consolidé son assise pour poursuivre son objectif de coopération, de transfert réciproque d’informations en soutenant le développement de politiques drogues fondées sur le respect de la santé, les droits de l’homme, et intégrant la dimension de genre et basées sur des connaissances validées. Pour mener cet objectif, il a su se doter d’atouts majeurs :
Un mécanisme de décision politique constitué par un réseau de représentants dans chacun des 15 pays nommés par les Ministères en charge des questions de politique drogues motivés et impliqués. Un réseau dont les représentants ont tissé des liens d’amitié et de solidarité. En 2017, les représentants du Maroc et de la Tunisie, n’ont pas hésité à se déplacer en Algérie pour un atelier de formation dont la date a changé plusieurs fois en quelques jours en raison du calendrier religieux.
Un budget multi-sources alimenté principalement par les contributions volontaires de donateurs, en particulier la France et l’Italie renouvelant leur financement année après année, rejoint depuis 2018 par la Suisse qui a reconnu la valeur ajoutée du réseau alors que ce pays n’a pas naturellement vocation à une coopération en Méditerranée.
Une intégration dans la politique de voisinage du Conseil de l’Europe par les Programme Sud I II et III, programmes conjoints mis en oeuvre par le Conseil de l’Europe et financés par l’UE confirmant ainsi le rôle joué par MedNET dans la politique de voisinage du Conseil de l’Europe en Méditerranée visant à renforcer la gouvernance démocratique.
Un programme de travail répondant à la demande des pays membres du réseau et non pas imposé et adopté par l’ensemble de ses membres. Les demandes reçues ces derniers jours par chacun des pays MedNET pour 2019 à la veille de la réunion annuelle du réseau montrent comment au cours des années, les actions menées par ces pays ont évolué et font sens pour essayer de répondre aux besoins des consommateurs de drogues, en prenant en compte leur droit à l’accès aux soins.
Une coopération dépassant les frontières du réseau MedNET et de ses 15 pays participants, qui bénéficie des connaissances et de l’échange d’expérience de la Belgique, et de la Suisse mais aussi de l’Irlande, d’Israël, de la Norvège, membres du Groupe Pompidou et d’autres pays non membres comme l’Espagne, qui continue à vouloir contribuer à la coopération en région méditerranée, en mettant à disposition des consultants ou en organisant des formations et visites d’étude.
Une coopération étroite avec l’agence de l’UE : l’Observatoire Européen Des Drogues et des Toxicomanies, qui collabore à nos projets.
Ainsi, l’idée d’un réseau dans la région sur les drogues et les addictions jetée telle une bouteille dans la Mer Méditerranée il y a 20 ans, a fait son chemin, et après la présidence française, ce sont l’Italie et la Tunisie qui viennent de prendre la Présidence et la Vice-Présidence de ce réseau. C’est un plaisir et un honneur pour moi de les accompagner à poursuivre et élargir la voie tracée jusqu’à présent. Je me dis parfois, qu’entrée au Conseil de l’Europe le 9 mai 1989, en arrivant d’une ville méditerranéenne où dès mon plus jeune âge mes camarades d’école étaient des enfants de pays d’Afrique du Nord, le destin fait bien les choses.
* Cette dénomination ne saurait être interprétée comme une reconnaissance d’un Etat de Palestine, sans préjuger de la position de chaque Etat membre du Conseil de l’Europe sur cette question.