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La culture, creuset d’une renaissance européenne
2019
Gabriella BATTAINI-DRAGONI
Le tragique incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019 a remis en mémoire à quel point l’extraordinaire patrimoine culturel européen est précieux et à quel point nous y sommes attachés, au-delà des frontières nationales. Gabriella Battaini, Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe depuis 2012, saisit cette occasion pour rappeler l’importance de la culture dans la construction européenne et lance un appel pour en faire le creuset de sa renaissance.
Lundi 15 avril 2019. Pour une fois, je suis rentrée tôt à la maison, vers 19 heures. Pas de réunion ayant traîné en longueur ce jour-là, pas de réception, de dîner ou d’autre obligation sociale. Une exception dans mon existence de Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, où l’espace disponible pour la vie privée est trop souvent réduit à sa portion congrue.
Dans mon salon, je feuillette une monographie de Leonardo da Vinci, le génie italien venu s’installer en France en ses vieux jours, symbole de la Renaissance et précurseur de l’Europe, auquel un hommage particulier est rendu cette année 2019, pour le 500e anniversaire de sa mort au château du Clos Lucé à Amboise. Entre ma lecture et les sons et images que me renvoie la télévision, branchée sur BBC World, cinq siècles de décalage.
Mais soudain, l’écran devant moi semble pétiller comme une bûche dans un feu de cheminée et me ramène encore plus loin en arrière dans le temps, avec un gros plan de la cathédrale Notre-Dame de Paris, un édifice presque millénaire, joyau de l’art gothique. Un épais panache de fumée noire la ceint comme une couronne mortuaire. Que se passe-t-il ? Notre-Dame brûle-t-elle ? Je suis sidérée par le spectacle relayé sur les écrans de la planète entière, et bouleversée lorsque, peu avant 20 heures, la flèche s’effondre dans le brasier...
Vendredi 3 mai 2019. Je représente le Conseil de l’Europe à une réunion conjointe des ministres de la Culture et des Affaires européennes des 28 États membres de l’Union européenne. Nous sommes rassemblés dans le décor prestigieux du Palais du Louvre, que deux kilomètres à peine – et la Seine – séparent de Notre-Dame. Le choc de l’incendie est encore présent dans tous les esprits, comme un rappel cruel de l’importance, mais aussi de la fragilité de notre patrimoine culturel. J’insiste sur le « notre », car même si Notre-Dame est le plus français des symboles, les témoignages d’inquiétude et de solidarité, les dons venus de toute l’Europe sont le signe concret d’une identité commune. La perte qui a bien failli se produire nous a tous affectés.
La réunion de Paris a été convoquée en réaction à ce choc et à cette prise de conscience : elle a permis de relancer la coopération au niveau de l’Union européenne dans le domaine du patrimoine culturel, avec le plein soutien de l’Unesco et du Conseil de l’Europe. Ce patrimoine si riche, qui nous a été légué par deux millénaires d’histoire commune, est par essence porteur de valeur esthétique autant qu’historique. Mais plus que cela, il unit des nations – et notre continent tout entier – par le sens d’une identité et d’une unité que nous avons tous en partage. Il nous ancre dans notre passé, pour que nous puissions regarder notre avenir en toute confiance.
Il s’agit là de quelque chose que le Conseil de l’Europe a compris dès ses premières années d’existence. Ses pères fondateurs savaient en effet fort bien que pour faire progresser les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit, il fallait davantage d’unité en Europe – et que cette unité ne pouvait se faire qu’à partir d’un socle de valeurs communes sous-tendues par un patrimoine considéré comme appartenant non seulement à chacune de nos nations, mais aussi à l’Europe tout entière.
Ainsi, l’un des premiers traités du Conseil de l’Europe à avoir vu le jour, après la Convention européenne des droits de l’homme, a été la Convention culturelle européenne. Et par une intéressante coïncidence historique, c’est justement à Paris que les États membres se sont engagés, dès 1954, à travailler ensemble pour sauvegarder notre patrimoine commun, favoriser l’apprentissage des langues, stimuler les échanges universitaires, et encourager la protection et la promotion de la culture européenne.
Il s’agissait de renouer, après les désastres des deux guerres mondiales, avec une évidence qui avait été perdue de vue avec la poussée de fièvre nationaliste qui avait failli terrasser notre continent : l’Europe est une par sa culture, au-delà de sa diversité linguistique et de ses différences politiques. De la civilisation gréco-romaine jusqu’au siècle des Lumières et à l’ère des révolutions qui s’ensuivit, en passant par l’Europe des cathédrales et des chansons de geste, celle de la Renaissance et des grandes découvertes et avancées scientifiques, celle des humanistes, des philosophes et des écrivains, notre continent avait toujours été un sol fertile où les idées, les œuvres d’art et les écrits – et ceux qui les portaient – circulaient sans frontières. Un formidable creuset qui avait fait de l’Europe, selon les mots de Paul Valéry, bien plus qu’un « petit cap du continent asiatique ».
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Gabriella BATTAINI-DRAGONI
Gabriella Battaini-Dragoni est Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe depuis 2012. Avant son élection à ce poste, elle a été la première femme nommée directrice générale dans l’histoire du Conseil de l’Europe, en charge de la Cohésion sociale (en 2001). De 2004 à 2011, elle a été directrice générale de l’Éducation, de la Culture et du Patrimoine, de la Jeunesse et du Sport, développant des programmes nouveaux et innovants sur la citoyenneté démocratique, l’enseignement interculturel et des droits de l’homme dans les écoles, des projets de jeunesse et autres espaces culturels. En 2011, elle a établi la Direction générale des programmes (ODGP), permettant ainsi une plus grande décentralisation des activités sur le terrain. Sous sa responsabilité, un nouveau système a été créé afin de mobiliser des ressources extrabudgétaires dans une perspective de durabilité à long terme. Née à Brescia (Italie), elle est diplômée de l’Université de Venise en langues étrangères et littérature, et de l’Institut européen des hautes études internationales de l’Université de Nice.