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Arrière plan de l'événement
13 septembre 2019

L’Ostpolitik voit le jour

1984-1985

Bruno HALLER

Les années 1980 furent une période de grands changements en Europe. Des mesures audacieuses et imaginatives furent prises pour les encourager et les accompagner, même si nul n’imaginait l’ampleur qu’ils allaient prendre. Dans cette entreprise, le moment charnière eut lieu entre novembre 1984 et avril 1985, sous la présidence allemande du Comité des ministres, avec comme acteurs clés le ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher et le Secrétaire général Marcelino Oreja. Sous leur impulsion, le Conseil de l’Europe a mis en place son « Ostpolitik » et préparé son futur élargissement.

La première initiative officielle d’ouverture du Conseil de l’Europe aux pays de l’Est a été prise fin 1984 - début 1985. Elle a été quelque peu oubliée, car le véritable élargissement de l’Organisation commença peu d’années après, avec l’adhésion de la Hongrie le 6 novembre 1990, un an après la chute du mur de Berlin. Ses initiateurs ont été le nouveau Secrétaire général, Marcelino Oreja, qui prit ses fonctions en octobre 1984, et le ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, qui, ayant accédé à la présidence du Comité des ministres un mois plus tard, invita ses collègues des autres États membres à une réunion ministérielle spéciale à Strasbourg le 29 janvier 1985 avec, à l’ordre du jour, un point libellé « Relations Est-Ouest ».

Marcelino Oreja a été membre de l’Assemblée parlementaire de janvier 1983 jusqu’à son élection au poste de Secrétaire général en mai 1984. Auparavant, il avait été ministre des Affaires étrangères de l’Espagne dans le gouvernement de transition démocratique d’Adolfo Suarez. C’est à ce titre qu’il a participé à Strasbourg, le 12 octobre 1977, à une séance historique et mémorable de l’Assemblée, où le gouvernement espagnol a pris l’engagement de faire adopter une nouvelle Constitution respectueuse des idéaux et des principes du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui a permis l’adhésion du pays un mois plus tard. Dans sa campagne de candidat, il a fait référence à cette séance qui l’avait beaucoup marqué et conforté dans ses convictions européennes et avait scellé son attachement à notre Organisation. Lors des diverses rencontres organisées dans ce cadre, il a affirmé sa volonté de s’investir à fond pour que le Conseil retrouve une place éminente sur la scène européenne, sans cacher que cela exigerait des réformes courageuses au niveau du programme comme des structures et des méthodes de travail. Son dynamisme, sa vivacité et son ouverture d’esprit furent appréciés et son attitude optimiste, chaleureuse et souriante fut un atout indéniable dans les contacts informels. Par la suite, les membres du cabinet ont pu apprécier ces qualités chez un homme particulièrement accessible, avec lequel il était très agréable de travailler.

Marcelino Oreja, « le petit homme qui doit gravir la montagne »

À l’occasion de la prise de fonction de Marcelino Oreja, l’International Herald Tribune publia un article intitulé « Oreja, the little man with a mountain to climb », un texte bien équilibré sur le professionnalisme et l’expérience du nouveau Secrétaire général et les grands défis qu’il devait relever pour dynamiser le Conseil. Je ne ferai pas de commentaire sur sa taille, car nous avons la même (!), mais le titre était prémonitoire. À peine installé à Strasbourg Marcelino Oreja se lança à la conquête de la plupart des sommets vosgiens, toujours en tête des promeneurs qui l’accompagnaient, nouveaux amis strasbourgeois et membres du Secrétariat. C’était un marcheur infatigable et il faisait à pied l’aller-retour entre sa résidence et le Conseil chaque fois que cela était possible, à une allure très sportive qui lui valut le surnom de « Speedy Gonzales ». En raison des menaces de mort de l’ETA à son égard, les autorités françaises lui avaient affecté un garde du corps... qui avait un certain embonpoint et beaucoup de difficultés à le suivre. Mais la conscience professionnelle prit le dessus et, en quelques semaines, il retrouva son souffle et une morphologie de jeune homme en s’adaptant à la cadence du chef !

Personnellement, je n’ai pas hésité lorsqu’il me proposa de prendre la direction de son cabinet, d’autant plus qu’il m’associa immédiatement à l’exercice de sa fonction en me chargeant de rédiger une note personnelle sur les priorités de l’Organisation et de son mandat. Il me demanda aussi de faire un projet pour le discours qu’il allait prononcer à l’Assemblée à la session d’octobre. Dans ce contexte, je découvris un homme perfectionniste qui aimait la belle prose, un peu déclamatoire, et qui affectionnait les citations, paraboles et autres figures de style. Sa lecture des textes soumis par le Secrétariat finissait souvent avec la remarque : « C’est très bien. Il manque seulement quelques “truffes” aux endroits que j’ai cochés ». C’est dans le même esprit qu’il nous demanda de trouver une formulation percutante pour caractériser sa réforme du programme d’activités du Conseil, et valida le slogan : « Faire moins, faire mieux et plus vite ».

Concernant les priorités à retenir pour son mandat, j’avais une expérience du Conseil dans deux secteurs qui s’avéra très utile, d’abord comme directeur du Centre européen de la jeunesse (CEJ) et ensuite comme chef de la division du Plan et du Programme d’activités intergouvernementales. Au CEJ, j’ai beaucoup appris sur les réalités de la coopération internationale, et notamment sur les relations Est-Ouest. En effet, les organisations de jeunesse partenaires du Centre, particulièrement celles de nature politique, mettaient beaucoup d’espoirs dans les négociations en cours entre les deux blocs pour promouvoir la paix et l’entente entre les peuples. Leurs responsables s’étaient fortement investis dans la mise en œuvre de l’Acte final d’Helsinki et souhaitaient ardemment que le Conseil s’engage davantage sur ce plan. Je leur dois probablement ma prise de conscience de la vocation paneuropéenne du Conseil, que j’ai toujours défendue par la suite. Comme responsable du plan et du programme, j’ai pu mesurer l’éparpillement des activités et la prolifération excessive des comités d’experts, mais aussi les difficultés d’obtenir une coopération équilibrée avec la Communauté européenne, qui commençait à investir les domaines d’excellence du Conseil. C’étaient à l’époque les deux principales problématiques auxquelles il fallait trouver des réponses.

À la recherche des racines culturelles communes

Les discussions avec les collègues qui avaient accepté de rejoindre la petite équipe du cabinet furent concluantes. Nous étions d’accord sur le constat des deux problématiques, mais aussi sur l’analyse que la plus importante et urgente était d’explorer les possibilités d’ouverture du Conseil à l’est de l’Europe avec des pays impliqués dans la mise en œuvre de l’Accord final d’Helsinki qui paraissaient prêts à coopérer avec notre Organisation. C’était à notre avis la meilleure voie pour ouvrir de nouvelles perspectives de développement au Conseil et faire en sorte qu’il restât maître de son destin, au moment où la Communauté européenne connaissait une forte dynamique, suite au sommet de Fontainebleau de juin 1984. Mais il fallait trouver des arguments pour étayer notre position qui, n’était pas encore très partagée au sein de l’Organisation.

Durant l’été, en consultant les travaux de l’Assemblée, j’ai découvert un organe parlementaire qui était beaucoup plus politique que le Comité des ministres et qui n’avait jamais abandonné le rêve d’un continent unifié des fondateurs, notamment de Winston Churchill, qui l’avait présenté magistralement dans son fameux discours de Zurich de septembre 1946. Il suffit de rappeler que, dès août 1950, elle avait créé une « commission spéciale chargée de veiller aux intérêts des nations européennes non représentées » pour ne pas oublier les peuples privés de la liberté de s’associer au premier projet politique d’unification européenne incarné par le Conseil. Cette commission s’est pérennisée sous une autre appellation jusqu’à la fin de l’élargissement, dans lequel elle a joué un rôle déterminant.

C’est dans la résolution 805 de 1983 sur « la coopération européenne dans les années 1980 » que nous avons trouvé la meilleure analyse de la problématique exposée ci-dessus, avec le même diptyque que celui que nous étions en train de construire : d’une part, renforcer la complémentarité, la réciprocité et l’efficacité dans les relations entre le Conseil de l’Europe et la Communauté européenne ; d’autre part, explorer la possibilité d’une participation des pays de l’Europe de l’Est aux activités intergouvernementales du Conseil. L’idée maîtresse était d’opérer une forme de « retour aux sources », en s’appuyant sur le fait que le continent avait une histoire et une culture communes, et qu’en les valorisant, on pouvait dépasser les clivages idéologiques, politiques et économiques qui le divisaient en deux blocs, avec le secret espoir qu’un jour cette séparation artificielle prendrait fin. Concrètement, la meilleure voie semblait de commencer à établir des relations avec les pays d’Europe centrale qui avaient déjà manifesté de l’intérêt pour notre Organisation, en mettant en avant l’identité culturelle commune de l’Europe et en s’appuyant sur le cadre très attractif de la Convention culturelle européenne, qui avait l’avantage d’être ouverte à tous les États européens, qu’ils soient ou non membres du Conseil de l’Europe.

Marcelino Oreja partagea et valida cette analyse. Dès lors, pour la transformer en projet politique, il fallait trouver un État membre influent, un ministre prêt à s’engager et une équipe ministérielle suffisamment souple pour le faire aboutir en peu de temps.


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Bruno HALLER

Bruno Haller est entré au Conseil de l’Europe en 1972 en tant que directeur adjoint du Centre européen de la jeunesse (CEJ). En 1980, il devient chef de la division du plan et du programme, avant de retourner au CEJ comme directeur. En octobre 1984, il est nommé directeur du cabinet du nouveau Secrétaire général, Marcelino Oreja. En janvier 1989, il est nommé greffier adjoint de l’Assemblée parlementaire, avant d’être élu secrétaire général de l’Assemblée en septembre 1995, poste qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 2006.