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Douze étoiles d’or sur fond d’azur
Adoption du drapeau europeen – 1955
Charles Kohler
Adopté par le Conseil de l’Europe à l’automne 1955, le drapeau européen est aussi devenu, trente ans plus tard, celui des Communautés européennes. Il s’est surtout imposé, à travers les bouleversements historiques successifs qu’a connus notre continent depuis le début des années 1950, comme l’étendard des valeurs sur lesquelles est fondé le projet européen : la liberté, la démocratie, les droits de l’homme et la paix. C’est Arsène Heitz, modeste fonctionnaire chargé du tri postal, qui a dessiné ce drapeau, et Paul Lévy, en tant que premier directeur de l’Information du Conseil de l’Europe, qui a porté le projet.
Entré au Conseil de l’Europe le 1er mai 1960, rien ne me prédisposait à relater l’adoption, cinq années plus tôt, en deux étapes – un vote unanime de l’Assemblée parlementaire le 25 octobre 1955 suivi d’une ratification par le Comité des ministres le 8 décembre de la même année –, du « drapeau bleu azur aux douze étoiles d’or ». L’adoption de l’emblème européen fut le résultat d’une longue procédure au cours de laquelle de nombreuses propositions furent examinées à partir d’août 1950 – soit un an à peine après l’entrée en vigueur du Statut du Conseil de l’Europe – par une commission mise en place par l’Assemblée consultative, composée de parlementaires des douze, puis quinze États membres.
C’est d’abord grâce à la philatélie que j’ai découvert l’existence du « père » du drapeau européen, Arsène Heitz, un collègue chargé du tri postal au sein de l’administration, doté d’un talent artistique et d’un engagement européen peu communs. À périodes régulières paraissaient des éditions de timbres du Conseil de l’Europe accompagnées de textes rappelant la contribution d’Arsène Heitz à l’élaboration des quelque vingt projets de drapeaux qu’il réalisa à la demande du directeur de l’Information Paul Lévy, chargé de soumettre des propositions à la commission compétente de l’Assemblée et à son rapporteur, le député franc-comtois Robert Bichet.
Ce n’est que bien plus tard que j’ai eu moi-même l’occasion de faire une contribution de conseiller, en ma qualité de directeur de cabinet du Secrétaire général Franz Karasek, dans le cadre de la procédure de choix d’un drapeau engagée par le Parlement européen. J’ai enfin eu la chance de connaître Arsène Heitz et de lier avec lui des liens d’amitié peu de temps avant son départ à la retraite.
L’adoption du drapeau (1950-1955)
Mon ancien collègue Jean-Marie Mouchot a été le témoin de l’adoption du drapeau européen par le Conseil de l’Europe, ayant non seulement participé à la première réunion de l’Assemblée consultative à l’Université de Strasbourg, mais aussi exercé les fonctions de secrétaire de la commission du règlement chargée de proposer un nouvel emblème. Il décrit les événements qui ont conduit à cette adoption comme suit :
« J’eus la chance de figurer dans le petit groupe d’agents provenant de Paris, Londres, Rome, Bruxelles, Copenhague, etc., envoyés à Strasbourg pour la session de l’Assemblée du Conseil de l’Europe en août 1949. [...] Je fus chargé de la commission du règlement de l’Assemblée, dont le président élu fut Frans van Cauwelaert, alors président du sénat de Belgique ainsi que bourgmestre d’Anvers, avec qui j’ai entretenu des relations de constante amitié.
« C’est cette commission qui reçut un an plus tard la mission de doter le Conseil de l’Europe de son propre emblème à placer à côté des drapeaux des États membres, projet présenté par Paul Lévy, directeur de l’Information au sein du Secrétariat général – une personne remarquable pour ses qualités intellectuelles et la force de ses convictions européennes. Alors que les discussions se perdaient dans une avalanche de propositions venues d’un peu partout en Europe, il eut l’idée de demander à un modeste agent du Conseil, dessinateur de talent, Arsène Heitz, de réaliser plusieurs esquisses, variées en disposition et en coloris. Il convenait d’éviter toute ressemblance avec un drapeau national et une inspiration fédéraliste (bannière étoilée notamment). Au bout de trois ans de discussions, en septembre 1953, l’Assemblée opta pour un drapeau de quinze étoiles d’or sur fond d’azur disposées en cercle, représentant les États membres de l’époque. Ce projet fut cependant refusé par le Comité des ministres, en raison de l’opposition entre la France et l’Allemagne sur l’avenir de la Sarre, qui était alors un État membre associé du Conseil de l’Europe : pour Paris, ce statut avait vocation à perdurer, alors que Bonn militait ardemment pour le retour du territoire dans le giron fédéral.
« Après un an de tergiversations, un comité mixte, composé de trois parlementaires et de trois représentants des États membres, fut mis en place pour trouver une solution. C’est en son sein que l’idée de fixer le nombre d’étoiles à douze, symbole d’union et de perfection, fit son chemin, après que plusieurs autres projets se furent heurtés aux réticences des ambassadeurs des États membres, qui suivaient les travaux de près. En septembre 1955, la commission du règlement de l’assemblée fut une nouvelle fois saisie du dossier, en étant appelée à trancher entre deux projets, tous deux d’étoiles d’or sur fond azur : un semis d’étoiles représentant les capitales des États membres, avec une étoile supplémentaire pour la ville de Strasbourg, proposé par Salvador de Madariaga ; et une couronne de douze étoiles, dessinée par Arsène Heitz, qui reprenait – au nombre d’étoiles près – le projet adopté deux ans auparavant. Ce fut ce dernier qui emporta la décision de la commission, à la satisfaction de Frans van Cauwelaert, du rapporteur Robert Bichet et de Paul Lévy.
« Le projet fut présenté à l’Assemblée, qui l’adopta par un vote unanime, puis ratifié sans autre forme de procès par le Comité des ministres. L’emblème européen fut présenté officiellement à l’ouverture de la session ministérielle du Conseil de l’Europe à Paris le 13 décembre 1955, puis devint peu à peu ce symbole qu’aujourd’hui nous reconnaissons entre tous. Un pas décisif fut franchi lorsque le Parlement européen demanda au Conseil de l’Europe s’il pouvait adopter le même emblème – ce qui lui fut accordé sans discussion : le drapeau européen devint alors le symbole de l’entente des pays de notre vieux continent résolus à mettre un point final aux querelles de l’histoire et à aménager leurs divergences. »
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Charles KOHLER
Il a vécu l’expérience de la guerre et de l’occupation nazie, qui a fait de lui un militant européen. Entré au Conseil de l’Europe en 1960, il travaille successivement à la direction des Affaires économiques et sociales et au Fonds de réétablissement. En 1974, il est nommé secrétaire adjoint du Comité des ministres, avant de devenir chef de la division du Plan et du Programme en 1976. De 1980 à 1984, il dirige le cabinet du Secrétaire général, puis exerce successivement les fonctions de directeur adjoint de l’Administration et des Finances, de directeur adjoint de l’Environnement et des Pouvoirs locaux, et enfin de contrôleur financier. À sa retraite en 1992, il s’investit au Mouvement européen Alsace, dont il est le président.
M. Kohler est décédé en mai 2019.