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angle-left null In defence of Cinderella
Arrière plan de l'événement
12 septembre 2019

Pour la défense de Cendrillon

Charte sociale européenne – 1961

Jan MALINOWSKI

En 1961, après presque une décennie de négociations, le Comité des ministres a adopté la Charte sociale européenne, qui est, pour les droits sociaux et économiques, le pendant de la Convention européenne des droits de l’homme. Trente ans plus tard, suite à la chute du mur de Berlin, un ambitieux processus de réforme a été lancé. Il a abouti à l’adoption, en 1995, d’un protocole permettant notamment aux syndicats de saisir le Comité européen des droits sociaux en cas de violation des droits protégés par la Charte, et, un an plus tard, à l’adoption de la Charte sociale révisée. Cette histoire offre quelques similarités avec Cendrillon, le célèbre conte de fées...

« C’est sans doute un grand avantage
D’avoir de l’esprit, du courage,
De la naissance, du bon sens,
Et d’autres semblables talents
Qu’on reçoit du ciel en partage ;
Mais vous aurez beau les avoir,
Pour votre avancement ce seront choses vaines
Si vous n’avez, pour les faire valoir,
Ou des parrains, ou des marraines. »

Charles Perrault
Contes de ma Mère l’Oye, Cendrillon ou la petite pantoufle de verre, 1697

J’ai récemment lu un article sur une fillette autiste de cinq ans qui était tombée sur une séance de photos de mariage dans un parc et avait pris la mariée pour Cendrillon. La petite fille et la mariée avaient adoré la rencontre ; ce fut une expérience mutuellement enrichissante. Quelques minutes après avoir lu cet article, on me demanda de contribuer au projet « Des histoires dans l’Histoire », dont le coordonnateur me dit avec regret qu’il n’y avait pas de contribution sur la Charte sociale européenne.

N’ayant que récemment rejoint l’équipe de la Charte sociale, je fus tenté de refuser l’invitation, mais quelque chose dans l’histoire de la fillette de cinq ans et de sa mariée Cendrillon me donna envie de l’écrire. Je pensais que dans chaque royaume, il y a une Cendrillon, et qu’au Conseil de l’Europe, nous en avions aussi une, voire peut-être plus. L’une qui m’est immédiatement venue à l’esprit est la procédure de réclamations collectives de la Charte sociale européenne, une princesse en haillons.

La Charte sociale européenne est l’un des deux traités les plus importants du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme. Elle est complémentaire au joyau de la couronne de notre Organisation, la Convention européenne des droits de l’homme. Les deux traités couvrent des domaines différents des droits de l’homme, mais ils se chevauchent et sont imbriqués à bien des égards. Les deux ensembles de droits font partie d’un tout indivisible, cherchant à réaliser – selon les termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme – la dignité inhérente et les droits inaliénables de tous les membres de la famille humaine. Ils sont censés apporter la liberté, la justice et la paix dans le monde. Les droits de l’homme sont universels, indivisibles et interdépendants.

Le Conseil de l’Europe et l’architecture européenne ont été conçus pour offrir le cadre de valeurs (droits de l’homme, démocratie) et la voie d’intégration (union économique et potentiellement politique) devant empêcher le retour des « âges des ténèbres » (empruntant les mots de Winston Churchill). Les droits sociaux et la cohésion sociale en sont au cœur. Les membres fondateurs de l’Organisation se sont déclarés « persuadés que la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation ». Dans son Statut adopté en 1949, ils ont intégré le « progrès social » comme l’un des objectifs de l’Organisation et l’un des outils pour la réalisation des idéaux destinés à faire de la « liberté individuelle, de [la] liberté politique et de [la] prééminence du droit » les bases de « toute démocratie véritable ».

Pourquoi alors cette division entre les droits de l’homme ? On l’explique parfois comme la conséquence de la dégradation progressive qui a conduit à la guerre froide. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ne faisait aucune distinction, mais la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (selon son titre complet) protège les droits dits civils et politiques. Les droits sociaux, considérés à l’époque comme des lettres de créance de « l’autre bloc », n’ont été repris dans la Charte sociale européenne qu’en 1961 et ont été établis tel un menu dans lequel les États pouvaient faire des choix à la carte. Cette scission artificielle a été renforcée par l’adoption de deux pactes distincts des Nations unies en décembre 1966. Aucun reproche n’est fait aux demi-sœurs préférées.


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Jan MALINOWSKI
Né en 1959 au Chili, de nationalité espagnole, Jan Malinowski est avocat. Après huit années de pratique professionnelle à Barcelone et à Londres, il a rejoint le Conseil de l’Europe en 1993. Il a travaillé pendant onze au sein l’équipe de surveillance anti-torture du Conseil de l’Europe. Entre 2005 et 2014, Jan a été responsable de la politique des médias, de la liberté d’expression et de la gouvernance de l’Internet. En décembre 2014, il est devenu secrétaire exécutif du Groupe Pompidou, la plate-forme du Conseil de l’Europe conçue pour apporter des réponses novatrices et fondées sur les droits de l’homme au problème mondial de la drogue. Depuis juillet 2018, il est chef du département de la Charte sociale européenne et secrétaire exécutif du Comité européen des droits sociaux.