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Arrière plan de l'événement
12 septembre 2019

Souvenirs d’un pharmacien européen

1964-2011

Fernand Sauer
 

J’ai passé toute ma carrière à construire une Europe qui nous protège au quotidien sur un aspect fondamental : la santé.

Que peut vous apporter l’Europe dans ce domaine ? Comment répond-elle à vos besoins ? J’espère vous apporter quelques éléments de réponse en partageant avec vous les moments clés de mon engagement européen.


Mon premier contact avec le Conseil de l’Europe a eu lieu dans les années 1960, alors que j’étais étudiant en pharmacie à Strasbourg. L’ancienne faculté de pharmacie, alors située rue de l’Argonne, abritait dans ses vitrines des souvenirs du grand Louis Pasteur, qui y avait enseigné un siècle auparavant. Sur la porte d’un local du même étage se trouvait une plaque « Conseil de l’Europe », qui paraissait mystérieuse à l’étudiant que j’étais. En effet, comment faire le lien entre les sciences pharmaceutiques et la prestigieuse institution européenne chargée de protéger et de promouvoir les droits de l’homme ?

Plus tard, lorsque j’exerçais comme représentant du ministère français de la Santé, j’ai trouvé des premiers éléments de réponse auprès d’un groupe d’experts pharmaceutiques du Conseil de l’Europe.

Au début des années 1960, le Conseil de l’Europe avait hérité de certaines missions de standardisation pharmaceutique de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), dans une perspective de protection civile, à l’époque de la Guerre froide.

Les origines de l’Europe du médicament et de la santé

Différentes catastrophes humanitaires, telles que la Seconde Guerre mondiale et le raz-de-marée de janvier 1953 qui a touché plusieurs pays du nord de l’Europe, ont déclenché de grands élans de solidarité visant à donner aux victimes des médicaments, des vaccins ou du sang. Ceux-ci n’ont malheureusement pas pu atteindre leur objectif, à savoir sauver des vies, car les unités, les dosages, les exigences qualité ou encore les indications figurant sur les emballages différaient d’un pays à l’autre.

Sans harmonisation internationale, il pouvait exister en Europe plus de 19 normes qualité différentes s’appliquant aux composants de nos médicaments. Ces normes étaient contenues dans des ouvrages ou « pharmacopées nationales », dont l’objectif fondamental était d’assurer l’innocuité et la qualité des médicaments. En effet, une pharmacopée définit les exigences de pureté et de maintien des artefacts du processus de fabrication industrielle à des niveaux qui n’affectent pas notre santé.

De même, sans cadre juridique commun d’autorisation des médicaments, les patients ne pouvaient pas accéder rapidement aux nouveaux produits.
Autant de barrières qu’il fallait faire tomber pour protéger notre santé et donner à tous accès à des médicaments de qualité.

Pourquoi une Pharmacopée Européenne au sein du Conseil de l’Europe ?

Le concept de Pharmacopée Européenne a émergé en 1964, lorsque huit pays pionniers, tous membres du Conseil de l’Europe, se sont engagés à signer la nouvelle Convention [internationale] relative à l’élaboration d’une Pharmacopée européenne, soulignant leur volonté de doter l’Europe d’un outil de référence unique pour la protection de la santé publique sur leur territoire respectif.

Cette pharmacopée commune ne pouvait être envisagée sans la participation de la Suisse et de la Grande-Bretagne, grands producteurs de médicaments.
Lors de l’élaboration de la Convention, la Communauté économique européenne (« CEE », l’ancêtre de l’Union européenne actuelle) et le Conseil de l’Europe ont échangé par courrier : la CEE renonçait à établir sa propre pharmacopée et décidait d’adopter celle qui serait élaborée sous l’égide du Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe avait donc toute latitude pour élaborer une pharmacopée à l’échelle du continent. Le principal objectif de cette initiative était de faciliter l’échange international de médicaments essentiels en cas de catastrophe ou de besoin urgent. Une première liste de 120 médicaments a donc été établie.

L’Europe de la santé et du médicament se mettait progressivement en place, en parallèle à Strasbourg et à Bruxelles. Les complémentarités initiales se sont renforcées au cours d’une cinquantaine d’années de coopération étroite entre Conseil de l’Europe et Union européenne. Il faut y voir aussi l’oeuvre de quelques personnalités fortes, d’Européens

convaincus qui ont mis toute leur énergie à briser les barrières qui pouvaient exister pour offrir à l’ensemble des Européens un accès à des médicaments et soins de santé de qualité.
Parmi tous ceux que j’ai eu l’immense privilège de croiser et qui ont participé activement à la mise en place d’un système de partenariat très efficace, je voudrais citer M. Léon Robert (Luxembourg), qui a présidé la toute première réunion de la Commission européenne de Pharmacopée, en 1964. Il a joué un rôle particulièrement important dans l’établissement de la réglementation européenne, non seulement ici à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, mais aussi à Bruxelles dans le cadre de ses travaux pour la CEE. Il a également été le premier président du Comité des spécialités pharmaceutiques de la CEE. Il a ouvert la voie à une longue chaîne de collaboration entre les deux organisations, qui a permis la mise en place d’une réglementation européenne intelligente faisant le meilleur usage des expertises et des budgets au service de notre santé.

À mon niveau aussi, j’ai oeuvré au cours de ma carrière à ces rapprochements et avancées de l’Europe du médicament et des soins de santé.

Les progrès de l’Europe de la santé et du médicament

Mon engagement européen s’est poursuivi en 1985 lorsque, responsable des médicaments au sein de la Commission européenne, j’ai proposé treize mesures pharmaceutiques dans le Livre blanc pour l’achèvement du marché intérieur. Plusieurs de ces mesures avaient un lien avec des activités du Conseil de l’Europe : pharmacopée, vaccins, produits sanguins, accès aux médicaments et délivrance des médicaments.

Le rapprochement s’est ensuite accéléré avec la volonté politique de la Communauté européenne de devenir membre de la Pharmacopée Européenne. C’était une avancée majeure, il faut mesurer l’importance de cette décision : aujourd’hui encore, très peu de conventions du Conseil de l’Europe ont été ratifiées par l’Union européenne.

C’est ainsi qu’observateur depuis 1983 auprès de la Commission européenne de Pharmacopée, j’ai conduit de longues et difficiles négociations pour la révision de la Convention, pour obtenir l’accord des pays non communautaires et, enfin, l’adhésion de nos propres États membres.
En juin 1994, j’ai eu le grand honneur de ratifier à Strasbourg, avec Daniel Tarschys, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, l’acte d’adhésion de l’Union européenne à la Convention relative à l’élaboration d’une Pharmacopée européenne.

À partir de 1995, la création à Londres de l’Agence européenne des médicaments (EMA) m’a permis d’approfondir les relations entre ces institutions en tant que dirigeant de ce nouvel organe de l’Union européenne.

Le Conseil de l’Europe créait, en 1996, la Direction européenne de la qualité du médicament
& soins de santé (EDQM), avec Agnès Artiges à sa tête. Avec elle, nous avons défini les modalités pratiques de cette coopération, notamment le partage des expertises existantes et l’échange de représentants de nos secrétariats techniques pour toutes les activités d’intérêt commun.

À l’heure actuelle, Susanne Keitel dirige l’EDQM, une direction technique de plus de 300 personnes située dans le quartier européen de Strasbourg, en phase avec l’EMA, qui réunit 900 personnes et vient de quitter Londres pour Amsterdam. Ces deux organismes font appel à plusieurs centaines d’experts externes, désignés par les pays concernés, dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire.

Il est intéressant de retracer la façon dont la coopération entre Conseil de l’Europe et Union européenne s’est développée, au service de la protection de la santé publique. Au départ, le Conseil de l’Europe s’intéresse à la qualité des composants actifs et inactifs des médicaments, ainsi qu’à des problématiques de santé publique, et notamment la transfusion sanguine. Il établit, en 1964, la Convention relative à l’élaboration d’une Pharmacopée européenne et adopte ensuite des résolutions sur divers thèmes de santé publique.
La Communauté européenne, quant à elle, se concentre tout d’abord sur la problématique de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments, dans une première directive de 1965, à caractère obligatoire.

Dès 1975, la Pharmacopée Européenne entre dans le cadre réglementaire européen. Autrement dit, elle s’impose à tous les États membres de la Communauté européenne, même ceux qui n’y ont pas encore adhéré.

De façon plus générale, le Conseil de l’Europe a joué un rôle de précurseur et a toujours englobé un plus grand nombre de pays européens, anticipant ainsi les élargissements successifs de l’Union européenne.

Ses comités d’experts pharmaceutiques, ses comités de santé publique, ses experts de la transfusion sanguine ont eu le loisir d’explorer de nouvelles pistes avec le soutien des États membres voulant participer à ces travaux.

Parfois avec les mêmes experts, la Commission européenne a été en mesure de s’inspirer de ces avancées pour les transformer en normes que le Conseil et le Parlement européens ont rendues obligatoires dans le droit interne des États membres de l’Union européenne.
L’EDQM, gardien de la qualité des médicaments de par le monde
Qu’ils soient innovants, de haute technologie ou génériques, la Pharmacopée Européenne est là pour veiller à la qualité des médicaments. Sa 10e Édition contient près de 3 000 normes qualité, auxquelles s’ajoute un catalogue de 3 000 étalons de référence (ou échantillons de matière calibrés pour les essais prescrits dans la Pharmacopée Européenne) accessibles aux industriels, aux autorités et aux chercheurs.

Ce développement de l’EDQM et de la Pharmacopée Européenne est en phase avec celui de l’EMA et de la réglementation de l’Union européenne.

Des programmes complémentaires ont été mis en place au fil des ans pour mieux garantir la qualité des médicaments biologiques comme les vaccins, complexes à fabriquer et à contrôler, et qui demandent des procédures de contrôle particulières. Un programme de travail européen dit de « standardisation biologique » relève, depuis 1991, de la responsabilité de l’EDQM. Toujours en cours, il est cofinancé par l’Union européenne et permet l’établissement d’étalons de référence et la validation de méthodes de contrôle applicables à ces produits complexes.
À la demande et avec le soutien de l’Union européenne, l’EDQM pilote, depuis 1994, le réseau des laboratoires officiels de contrôle des médicaments (OMCL) visant la reconnaissance mutuelle des contrôles qualité effectués par les États participants, avec un programme spécifique dédié au contrôle des nouveaux médicaments évalués par l’EMA.

De plus, l’EDQM développe, depuis 1994 également, un programme d’analyse de la qualité des productions de matières premières à usage pharmaceutique fabriquées dans le monde entier.
Ainsi comme vous le voyez, si vous prenez des médicaments, ce que fait l’EDQM vous concerne au quotidien.

L’implication de l’EDQM dans les soins de santé au sens large

Depuis quelques années, la falsification des médicaments a fait son apparition en Europe. L’EDQM travaille sur la réduction des risques liés à cette falsification et l’Union européenne a adopté une directive à ce sujet en 2011.

L’EDQM apporte également son soutien à la mise en oeuvre de la Convention « MEDICRIME » adoptée par le Conseil de l’Europe en 2010, en assurant la formation des responsables nationaux aux bonnes pratiques de lutte contre les produits médicaux frauduleux.
L’influence durable du Conseil de l’Europe, gardien de l’éthique et des libertés, a été essentielle pour promouvoir dans l’Union européenne le principe du don de sang et d’organes non rémunéré.

Placés sous l’égide de l’EDQM depuis 2006, le Comité sur la transfusion sanguine et le Comité sur la transplantation d’organes s’efforcent de garantir le caractère éthique de la collecte, ainsi que l’innocuité et la qualité des substances d’origine humaine. La protection des donneurs et des receveurs est leur priorité.

Enfin, si vous vous sentez concernés par les substances entrant dans la composition des cosmétiques ou encore par les matériaux pour contact alimentaire, sachez que l’EDQM développe également des programmes de travail spécifiques pour réduire et prévenir les risques pour la santé.

L’EDQM contribue au rayonnement international du Conseil de l’Europe

Depuis les années 1960, le secteur pharmaceutique s’est européanisé, puis mondialisé, ce qui s’est accompagné de nombreux avantages pour l’accès aux soins d’un plus grand nombre de patients, mais aussi de risques accrus, au vu de la multiplicité des sources de production de matières premières et de produits finis dans le monde.

Dans les années pionnières, quelques universitaires et fonctionnaires nationaux se réunissaient épisodiquement dans des locaux austères. La création, il y a plus de 20 ans, d’une agence scientifique moderne, dotée d’un personnel compétent et installée dans des locaux adaptés, a permis à l’EDQM d’élargir pas à pas son portefeuille d’activités au sein du Conseil de l’Europe, depuis la Pharmacopée jusqu’aux soins de santé et à la protection des consommateurs.

Cette évolution a été favorisée par une informatisation poussée des procédures et publications et par un investissement décisif dans le management de leur qualité, attesté par les organismes de certification français et belge. Au sein du Conseil de l’Europe, l’EDQM peut se définir, à juste titre, comme un acteur mondial clé de la qualité des médicaments à usage humain et vétérinaire, au service des citoyens européens, mais aussi du monde entier.


Fernand Sauer est membre de l'Académie nationale de pharmacie (France). Il fut successivement directeur de l'Agence européenne des médicaments, directeur de la santé à la Commission européenne, puis membre du Collège du Haut Conseil de santé publique.