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Arrière plan de l'événement
13 septembre 2019

Le combat contre la peine de mort

1980-1997

Allard PLATE

Le rejet de la peine de mort fait aujourd’hui partie des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe : elle est juridiquement abolie dans la quasi-totalité des États membres, et aucune exécution capitale n’a eu lieu dans la sphère géographique de l’Organisation depuis plus de vingt ans. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi, et l’abolition de la peine de mort a été un combat de longue haleine, mené principalement par l’Assemblée parlementaire.

Au cours de l’été 2001, trois semaines à peine avant ma retraite, j’observais avec effroi la disparition, dans un amas de poussière et juste sous mes yeux, des tours jumelles du World Trade Center de New York. J’avais alors l’impression d’être le témoin de la futilité de toutes les actions que j’avais menées au cours des trente dernières années. Il me semblait que tout ce pour quoi j’avais travaillé, tout ce que j’avais fait pour la défense des droits de l’homme en Europe, risquait de s’effondrer. Cet événement épouvantable ne s’était certes pas produit sur le sol européen, mais cela aurait tout aussi bien pu être le cas. Il fut visionné encore et encore, dans tous les villages et toutes les villes du monde. Ayant passé trente ans à travailler à l’abolition de la peine de mort en Europe, je redoutais grandement l’impact que cet événement aurait sur les idéaux de l’Organisation à laquelle j’avais consacré ma vie.

À la fin des années 1960, à l’époque où j’ai commencé à travailler au Conseil de l’Europe, l’Organisation venait de commencer à élaborer son premier programme de travail intergouvernemental global visant à rendre ses activités plus systématiques, plus cohérentes, et aussi mieux connues du grand public. Ces activités, si je me souviens bien, ont été présentées dans un livret attrayant intitulé « L’Homme dans une société européenne », un titre qu’il serait difficile d’employer aujourd’hui ! Le document contenait des chapitres sur les principaux domaines d’activité du Conseil, avec des sous-titres pour indiquer ceux ayant été proposés et ceux ayant déjà fait l’objet de décisions. Dans le chapitre sur la coopération juridique, il y avait également une petite sous-rubrique sur les activités abandonnées, qui rassemblait ce qui n’était plus considéré comme étant digne d’intérêt. Un seul élément fut inscrit sur la liste : l’abolition de la peine capitale.

Comme beaucoup je fus choqué de lire ceci, et il m’était difficile d’ignorer le message sous-jacent : le Comité des ministres n’avait manifestement pas l’intention de débattre ou de réévaluer la question de la peine de mort. Les raisons ne furent pas données, mais elles étaient faciles à deviner. Certains États membres non seulement continuaient d’inclure cette peine multiséculaire dans leurs textes de loi, mais en plus ils l’appliquaient. Ces États comptaient parmi les plus importants d’Europe : la France, la Turquie et le Royaume-Uni. Compte tenu de la nécessité d’un consensus sur le changement, il semblait peu probable qu’une action commune soit menée sur cette question épineuse.

Si le Comité des ministres n’avait pas l’intention de relever le défi, la balle était clairement dans le camp de l’Assemblée, car, contrairement au premier, celle-ci était en mesure de prendre des décisions par un vote majoritaire. S’agissant d’une question juridique et de droits de l’homme, la question de la peine capitale fut donc inscrite à l’ordre du jour de ma commission à l’Assemblée, et devint de ce fait ma responsabilité... pour les trente années qui suivirent. Pendant tout ce temps, j’eus la chance d’être assisté par de jeunes et très brillants co-secrétaires, tels qu’Étienne Reuter, Enrico Grillo-Pasquarelli et Tanja Kleinsorge, tous fervents partisans de l’abolition. Ils préparèrent d’excellents projets, que les rapporteurs de l’Assemblée furent ravis d’accepter pour leurs rapports. Certaines ONG, telles qu’Amnesty International, apportèrent également des contributions remarquables. Mais cela ne signifie pas pour autant que les choses se déroulèrent sans heurts.

La délégation suédoise fut la première à lancer le débat à l’Assemblée. La Suède était l’un des rares États européens à avoir eu la chance de rester en dehors des deux guerres mondiales et d’éviter les misères de la dictature. Sa société avait de plus pu prospérer sans qu’il soit nécessaire de recourir à la peine capitale. Il était donc naturel que la délégation suédoise croie que son modèle de société exempt de la peine de mort pourrait s’appliquer à toute l’Europe. Il était également logique et bénéfique que la commission des questions juridiques et des droits de l’homme nomme un rapporteur suédois, Bertil Lidgard, qui était membre du groupe conservateur et dont on pouvait donc attendre qu’il exerce une certaine influence sur ses collègues se situant à droite de l’échiquier politique. Après tout, c’est dans le camp conservateur que l’on s’attendait à trouver les opposants à l’abolition les plus déterminés.

Cependant, malgré les vaillants efforts déployés par M. Lidgard et les nombreux collègues qui le soutenaient, rien n’avait encore été fait à cet égard au tournant des années 1960-1970, que ce soit en commission ou à l’Assemblée. Les arguments pour et contre la peine capitale étaient bien établis et changeaient peu au fil des ans. Les universitaires considéraient le débat comme « intellectuellement épuisé » et la question revêtait désormais un aspect plus psychologique et émotionnel que politique. De toute évidence, l’heure n’était pas encore à l’abolition de la peine de mort.


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Allard PLATE
Né en 1936 à Utrecht, Pays-Bas. Études en droit à l’Université d’Utrecht. Doctorat à l’Université Erasmus de Rotterdam en 1974. Officier de réserve de la police militaire (1961-1963), avocat à Rotterdam (1963-1965). Au Conseil de l’Europe, il a travaillé au secrétariat de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire (1965-2001). Il a par ailleurs été secrétaire de la commission de recours (1974-1983), président de l’assemblée générale du personnel, et président du club des arts de l’amicale.
Depuis sa retraite (2001), il est membre du conseil de direction d’une réserve naturelle aux Pays-Bas, où il est reparti en 2014.