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Arrière plan de l'événement
12 septembre 2019

René Cassin ou l’Europe des droits de l’homme

Convention européenne des droits de l'homme –  november 1950

Guido RAIMONDI 

En novembre 1950, le Conseil de l’Europe enregistre un premier succès majeur : l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme, à Rome. Deux ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont elle est directement inspirée, la CEDH est une révolution politique et juridique : elle prévoit la mise en place d’une Commission et d’une Cour pouvant être saisies par tout individu résidant sur le territoire d’un État membre. C’est la réalisation du rêve de son père spirituel, René Cassin, qui deviendra président de la Cour européenne des droits de l’homme en 1965, avant de recevoir le Prix Nobel de la paix en 1968. Son lointain successeur, Guido Raimondi, lui rend hommage.

Comme tous mes prédécesseurs depuis plus d’un demi-siècle, c’est pour moi un immense honneur et une lourde responsabilité d’être le successeur de René Cassin à la présidence de la Cour européenne des droits de l’homme. N’ayant pas eu la chance de le connaître personnellement, je n’aurai pas la prétention de raconter ce que fut sa vie, mais son parcours et ses combats suscitent en moi un certain nombre de réflexions que je voudrais partager, au moment où je m’apprête moi-même à quitter ce Palais des droits de l’homme qui représente un ultime recours pour les 830 millions de justiciables potentiels qui résident sur notre continent.

René Cassin, qui présida cette Cour de 1965 à 1968, est ici chez lui. Pas uniquement parce que ceux qui empruntent le couloir qui mène au bureau du président croisent son regard bienveillant. Il est chez lui parce que cette Cour est son rêve réalisé. Ce pour quoi il s’est battu toute sa vie. Parce qu’elle continue de faire vivre son message humaniste.

Cette vie fut, à bien des égards, exceptionnelle, et pas uniquement pour des raisons heureuses. Profondément attaché à la paix, il connaîtra au cours de son existence deux guerres particulièrement atroces. Dans chacune de ces tragédies mondiales, il jouera un rôle éminent.

Cassin n’est pas un homme providentiel. Ses rares incursions dans le domaine politique n’auront pas été couronnées de succès, mais il est, en toutes circonstances, l’homme de la situation.

Homme de la situation, il l’est d’abord au sortir de la Première Guerre mondiale, en tant qu’artisan de la réconciliation entre les deux camps. Son idée de faire se rencontrer des anciens combattants français et allemands est alors totalement révolutionnaire. Il fallut, hélas! une autre guerre, encore plus dévastatrice, pour opérer cette miraculeuse et nécessaire réconciliation franco-allemande, dont Strasbourg, capitale européenne, est à la fois l’incarnation et le symbole.

C’est sous les auspices du Bureau international du travail que s’est ouverte, le 2 septembre 1921, une conférence voulue par lui et qui fut l’une des premières manifestations du pacifisme après la guerre de 1914-1918. À titre personnel, ayant passé plusieurs années heureuses au sein de l’Organisation internationale du travail, j’y vois une proximité supplémentaire avec René Cassin. On sait que le rôle de cette organisation fut alors essentiel, car son directeur, Albert Thomas, avait la même vision pacifique et de réconciliation que Cassin.

Homme de la situation, il l’est encore, évidemment, à Londres lorsqu’il rejoint, parmi les premiers, le général de Gaulle. C’est pour lui une évidence. N’oublions pas que Cassin est un grand patriote, un républicain. Et pour lui, l’appartenance à la nation française se conjugue avec l’universel. Il est avant tout convaincu que la France a un rôle à jouer en faveur de la condition humaine. Un rôle qu’il situe au sein d’une organisation internationale et dans le cadre de la solidarité entre les nations. Je suis certain que, s’il était présent parmi nous aujourd’hui, il porterait encore ce message.

Homme de la situation, il l’est après la Seconde Guerre mondiale, à la tête du Conseil d’État français, qu’il réorganise et remobilise, après les heures sombres du régime de Vichy, au service duquel nombre de magistrats se déshonorèrent.

Mais c’est surtout comme artisan d’un ordre juridique international qu’il accomplit son œuvre. Parce qu’il est profondément français, tout part de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et du fait qu’elle a fixé, pour l’éternité, l’idée que les hommes naissent libres et égaux en droit. Transposer cette Déclaration dans l’ordre international sera l’un des objectifs de sa vie.


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Guido RAIMONDI 
Né à Naples en 1953. Ancien conseiller à la Cour de cassation italienne, il est juge à la Cour européenne des droits de l’homme à partir de mai 2010 et devient son président en novembre 2015. Son mandat de juge et de président a pris fin le 5 mai 2019. Magistrat depuis 1977, il a exercé ses fonctions dans les tribunaux de première instance, avant d’être détaché auprès du service juridique du ministère des Affaires étrangères. Entre 1989 et 1997, il a été co-agent du gouvernement italien auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. En mai 2003, il rejoint l’Organisation internationale du travail en tant que conseiller juridique adjoint, puis conseiller juridique à partir de 2008, jusqu’à son départ pour la Cour de Strasbourg. Il est l’auteur de nombreuses publications dans le domaine du droit international, en particulier sur les droits de l’homme.