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Arrière plan de l'événement
12 septembre 2019

Un été 1949 à Strasbourg

Création du Conseil de l'Europe


Félix KAPPLER 

Le Conseil de l’Europe a été créé le 5 mai 1949 à Londres par dix pays fondateurs, à l’initiative de la France, du Royaume-Uni et des trois pays du Benelux. Il portait alors l’espoir des nombreux Européens qui voulaient tourner le dos aux horreurs du passé et construire une Europe unie, démocratique et prospère. Félix Kappler était l’un d’eux.
Il nous raconte comment il est devenu l’un des premiers agents du Conseil de l’Europe, lors de cet été 1949 qui est resté dans l’Histoire.

J’ai entendu pour la première fois parler du Conseil de l’Europe au début de l’année 1949, par un de mes collègues au ministère français des Affaires étrangères, qui m’a informé des discussions en cours entre la France, le Royaume-Uni et les trois pays du Benelux, fondateurs l’année précédente de l’Union de l’Europe occidentale. Une commission préparatoire, présidée par le directeur d’Europe du Quai d’Orsay Jacques-Camille Paris, était chargée de négocier un projet de traité qui allait créer une toute nouvelle organisation, aux compétences très larges (tout sauf la défense !) et qui devrait être ni plus ni moins que la matrice des « États-Unis d’Europe ». Cerise sur le gâteau, j’appris par la même occasion que le siège de cette organisation devrait être situé dans ma région natale, si meurtrie par les conflits – notamment pendant les deux « guerres de Trente ans » (celle du xviie et celle du xxe siècle) – et qui allait devenir un symbole de paix et de réconciliation non seulement entre la France et l’Allemagne, mais aussi entre tous les pays et les peuples de notre vieux continent.

Cette discussion autour d’une tasse de café allait changer le cours de ma vie. Au ministère, je n’étais pas du tout chargé de suivre les affaires politiques, mes tâches étant administratives et financières (j’avais été intégré à l’automne 1945 comme secrétaire d’administration), mais je me suis intéressé d’aussi près que possible au déroulement des négociations, qui, après leur élargissement à cinq autres pays (le Danemark, l’Irlande, l’Italie, la Norvège et la Suède), allaient aboutir à la signature du Traité de Londres, le 5 mai 1949, portant création du Conseil de l’Europe. Dans les jours qui ont suivi, j’ai demandé un rendez-vous à Jacques-Camille Paris, qui s’employait très activement, depuis le début de l’année, à faire avancer l’immense chantier dont il était le maître d’œuvre : mettre en place la logistique qui pourrait permettre d’accueillir les premières sessions du Comité des ministres et de l’Assemblée parlementaire, programmées pour le mois d’août ! Je me suis porté volontaire pour l’assister dans cette entreprise, ce dont il m’a remercié, sans pour autant prendre d’engagement.

C’est donc avec une certaine surprise que j’ai reçu, le 30 juin 1949, une lettre de M. Paris m’informant que ma candidature à un emploi dans le service financier avait été retenue et m’invitant à me rendre à Strasbourg dès le lendemain pour y prendre mes nouvelles fonctions ! En toute honnêteté, cette lettre soulignait que l’emploi qui m’était proposé n’était qu’un emploi temporaire, et ce, pour une raison très simple : le Conseil de l’Europe n’existait pas encore officiellement (l’entrée en vigueur du Statut, soumis à une exigence de sept ratifications, n’aura lieu que le 3 août). Celui qui allait être désigné quelques semaines plus tard comme le premier Secrétaire général du Conseil de l’Europe y formulait cependant « l’espoir que [mon] emploi, précaire pour le moment, deviendra par la suite définitif »...

L’enthousiasme d’écrire une nouvelle page de l’Histoire

J’étais face à un dilemme: le délai de 24 heures dans lequel j’étais attendu à Strasbourg excluant une mise en disponibilité ou un détachement, accepter cette offre impliquait que je démissionne du ministère des Affaires étrangères, où une carrière sûre m’attendait. Sans attendre la nuit, dont la sagesse populaire assure pourtant qu’elle porte conseil, je n’ai pas hésité et j’ai coup sur coup accepté l’offre qui m’était faite et donné ma démission du Quai d’Orsay! L’enthousiasme de participer à un tel projet, de devenir une cheville ouvrière – aussi humble soit-elle – de l’Histoire en marche, y était pour beaucoup. Je dois à la vérité de dire qu’une autre raison, plus sentimentale, m’attirait aussi vers Strasbourg: une charmante jeune femme, prénommée Marie, que j’avais rencontrée quelques mois auparavant chez son oncle à Paris, venait de rentrer en Alsace pour se rapprocher de ses parents, originaires comme moi du petit village de Beinheim, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Strasbourg, à la frontière entre la France et l’Allemagne...

Après un voyage de plusieurs heures, entamé à un horaire plus que matinal (il n’y avait pas de TGV à l’époque !), j’ai débarqué à Strasbourg le 1er juillet, pour me présenter à Georges Cunin, futur chef du service des Bâtiments et Installations, qui occupait des bureaux provisoires à la préfecture de Strasbourg. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai retrouvé la capitale de mon Alsace natale, que j’avais quittée lorsque je m’étais engagé dans la marine en septembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, et qui portait encore les stigmates des bombardements et des combats qui s’y étaient tenus. Dans les jours qui ont suivi, j’ai fait la connaissance de mes nouveaux collègues, une petite équipe d’environ cinquante personnes, multiculturelle déjà, et soudée sous les ordres d’un chef charismatique.

Texte rédigé par Denis Huber, sur la base du témoignage de Félix Kappler (mai 2016).


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Denis HUBER
Entré dans la carrière diplomatique en 1990 au ministère français des Affaires étrangères, Denis Huber a rejoint le Conseil de l’Europe en 1993. Il y a notamment acquis une expérience de dix ans au secrétariat du Comité des ministres, en étant directement impliqué dans la préparation et le suivi des deuxième et troisième Sommets des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe. Entre 2006 et 2012, il a été en poste à Belgrade, en tant que représentant spécial du Secrétaire général en Serbie, puis à Lisbonne, en tant que directeur exécutif du Centre Nord-Sud. De retour à Strasbourg, il a été successivement affecté au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, à la direction générale de l’Administration, puis au Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants («Groupe Pompidou»). Il est l’auteur du livre Une décennie pour l’Histoire: le Conseil de l’Europe 1989-1999.


Félix KAPPLER 
Engagé dans la Marine française en septembre 1939, Félix Kappler a rejoint le ministère des Affaires étrangères après la Seconde Guerre mondiale. Il est l’un des premiers fonctionnaires du Conseil de l’Europe, puisqu’il a débuté à la commission préparatoire dès le 1er juillet 1949. Il a ensuite effectué l’intégralité de sa carrière dans les services financiers de l’Organisation. Au moment de son départ à la retraite en 1982, il était chef du bureau de la Trésorerie et trésorier. M. Kappler est décédé en décembre 2016.