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Un mariage de cœur et de raison
Strasbourg et l'Europe - 1989-1997
Catherine TRAUTMANN
Entrée en politique pendant la décennie 1980, alors qu’émergeait une exigence d’égalité entre les femmes et les hommes à tous les niveaux et que l’Europe s’apprêtait à entrer dans une ère de bouleversements majeurs, Catherine Trautmann a exercé de multiples responsabilités (élue locale, députée, maire de Strasbourg, députée européenne, ministre) avec pour constantes son engagement européen et son amour pour sa ville. Elle nous raconte l’histoire du mariage entre Strasbourg et l’Europe, qui dure depuis des siècles et qui est plus vivant que jamais.
En 2019, nous célébrons non seulement les soixante-dix ans du Conseil de l’Europe, mais aussi le rôle historique de Strasbourg en tant que capitale européenne ; pour cela, il me semble que se replonger dans une autre fin de décennie, particulièrement symbolique pour Strasbourg et pour l’Europe, permettra de saisir l’ampleur du chemin parcouru et des ambitions à l’origine du projet que nous portons au quotidien.
Nous sommes en 1989 ; le Conseil de l’Europe fête ses quarante ans et je viens d’être élue maire de Strasbourg. Cette année fut fantastique à bien des égards : elle représente une période charnière à la fois pour la construction européenne et pour la réconciliation entre l’est et l’ouest de notre continent. C’est l’année où l’hymne européen est chanté sur et autour du mur de Berlin ; l’année où celui-ci s’écroule avec fracas, mais sans violence, et donc l’année à partir de laquelle un grand nombre de pays se sont tournés vers le Conseil de l’Europe, qui connaîtra un élargissement sans précédent, passant de 23 à 40 États membres en à peine sept ans ! C’est l’année d’un basculement incroyable dans une évolution – et une révolution – démocratique. C’est un moment fort de réflexion sur les réponses politiques à apporter à cette situation nouvelle et sur ce qu’il faut faire pour que cela réussisse. L’année du sommet européen de Strasbourg, où a été adoptée la « Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ». C’est également l’année de l’élection de Catherine Lalumière comme secrétaire générale du Conseil de l’Europe, en mai : le fait qu’une femme soit placée à la tête d’une institution qui prône le respect des droits de l’homme a représenté une avancée d’une importance cruciale. Deux mois plus tard, le 6 juillet, Catherine Lalumière recevait le secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, qui exposa alors sa vision d’une Europe rassemblée au sein de la « maison européenne commune ». C’est enfin l’année où, pour la première fois en France, les citoyens d’une ville de plus de 100 000 habitants – Strasbourg – décident d’élire, pour maire, une femme : commencer ma carrière politique sur cette victoire symbolique féministe, mais aussi et avant tout humaniste, n’a fait que renforcer mon désir de m’engager dans la lutte pour le respect des droits de l’homme. Et pour mener ce combat, je me trouvais au bon endroit.
En effet, avec la chute du mur de Berlin, Strasbourg est redevenue ce qu’elle a été au long de son histoire, et ce qu’elle est toujours aujourd’hui : une ville de la Mitteleuropa. Ce moment historique que constitue la fin de la guerre froide a permis de sortir de cette fausse impression de distance, celle d’appartenir à un autre monde à chaque fois que l’on se rendait en Europe centrale ou orientale : il a replacé Strasbourg au cœur de l’Europe, entre Paris et Prague – une position géographique qui est un lien absolument stratégique pour sa vocation de capitale européenne.
Strasbourg, pour apprendre l’Europe
1989, c’est donc l’année où l’on renoue avec la proximité, l’année de nouveaux défis démocratiques pour l’Europe : autant d’éléments qui, dans l’État de droit et grâce au Conseil de l’Europe, permettront de construire un socle de références communes. Lorsque j’ai rencontré les maires de ces pays dits « de l’Est » qui basculaient les uns après les autres, j’ai été fascinée par l’appétit d’apprendre et la soif de contacts qu’ils manifestaient. C’était le cas de nombreuses autres personnalités, pour qui Strasbourg constituait une référence incontournable pour son statut de capitale de la démocratie en Europe : je me souviens notamment d’une phrase de Jorge Sampaio, dont la première visite officielle, en tant que président du Portugal, a été effectuée à Strasbourg : « Je reviens sur mes pas, là où j’ai appris l’Europe. »
En effet, le Conseil de l’Europe, et donc Strasbourg, pour tous ceux qui y faisaient étape, était le lieu de l’apprentissage de l’Europe dans son acception originelle : la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit. Au-delà de sa portée symbolique, les mots de M. Sampaio insistent sur une dimension fondamentale de la démocratie : le fait qu’elle s’apprend, qu’elle se travaille, qu’elle n’est jamais acquise. Le fait que, tout comme l’Europe, elle est à construire sans relâche. La démocratie et l’Europe sont un labeur auquel il est nécessaire de se dévouer et de se consacrer, et dont le laboratoire a toujours été le Conseil de l’Europe. C’est un labeur, et c’est en même temps la disputatio, et Strasbourg a toujours été une ville de débat. On perçoit aujourd’hui cette nécessité avec d’autant plus de force.
La fin de la décennie 1980 a donc été extraordinaire pour ses bouleversements géopolitiques qui ont mis fin à l’ordre international hérité de Yalta : pour moi, il était extrêmement important de considérer que la réconciliation était en cours et que, pour ces pays de l’Est qui se libéraient de l’emprise soviétique pour rejoindre la famille européenne, c’était véritablement la question de l’intégration européenne qui se posait. Le Conseil de l’Europe était alors, au fond, ce point d’arrivée et de départ, c’était ce lieu de découverte, d’apprentissage de la démocratie parlementaire. C’était aussi une époque qui était éminemment propice aux coopérations, puisque tout était à faire : il fallait refaire les lois, garantir l’indépendance des collectivités territoriales, écrire les constitutions de tous ces pays qui souhaitaient rejoindre la grande famille européenne... Mais ce qui était important surtout, ce n’était pas seulement d’accompagner ces pays qui se tournaient vers la démocratie, c’était de rendre la démocratie palpable, perceptible, appréciable par les gens. Là encore, il s’agissait de rendre l’idée européenne concrète, de faire en sorte qu’elle s’incarne dans leurs sociétés.
Comment ? Inclure ces pays dans l’Union européenne, c’était un objectif important et souhaitable, mais qui ne pouvait viser que le long terme. Les intégrer au sein du Conseil de l’Europe, c’était les aider à se doter d’un droit national conforme aux droits de l’homme. C’était aussi pouvoir engager des coopérations en matière d’éducation, de culture, de jeunesse et d’animation de la démocratie locale. Tout cela a été rendu possible grâce à une politique d’accueil volontariste fondée sur la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale et la Convention culturelle européenne, trois instruments qui constituent aujourd’hui encore le socle de la démocratie.
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Catherine TRAUTMANN
Diplômée en théologie protestante, Catherine Trautmann s’engage en politique en 1983, où elle est élue conseillère municipale de la Ville de Strasbourg. Députée PS du Bas-Rhin de 1986 à 1988, elle est, durant cette période, membre de la délégation française au Conseil de l’Europe. Elle est élue maire de Strasbourg en 1989, et réélue en 1995. Élue une première fois députée européenne en 1989 et réélue en 1994, elle décide de démissionner en 1997 pour rejoindre le gouvernement de Lionel Jospin, qui lui confie le ministère de la Culture et de la Communication. Elle occupera cette fonction jusqu’en mars 2000, cumulant ce rôle avec celui de porte-parole pendant quelques mois. Catherine Trautmann redevient députée européenne en 2004 jusqu’à 2014. Elle est présidente d’Eurimages, le fonds de coproduction cinématographique du Conseil de l’Europe, depuis 2016.