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Arrière plan de l'événement
13 septembre 2019

L’Europe, notre maison commune

1989-2006

Alexander ORLOV

L’histoire des relations entre le Conseil de l’Europe et la Russie a commencé peu avant la chute du mur de Berlin, avec la visite historique du président soviétique Mikhaïl Gorbatchev à Strasbourg en juillet 1989. Elle s’est poursuivie et intensifiée après la disparition de l’URSS, pour aboutir à l’adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe en 1996. Dix ans plus tard, un point culminant a été atteint avec la présidence russe du Comité des ministres, entre mai et novembre 2006. Alexandre Orlov, ancien ambassadeur de Russie à Strasbourg puis à Paris, en a été un témoin et un acteur important.

En 2017, nous avons célébré le centième anniversaire de la «révolution d’octobre» qui bouleversa – pour le meilleur ou le pire, selon les points de vue – mon pays et le monde. Cet anniversaire en a éclipsé un autre, celui des 150 ans de l’Exposition universelle de Paris de 1867, dont l’éclat marqua l’apogée du «concert des nations» issu du Congrès de Vienne de 1815, garant d’une paix fragile, mais durable dans notre continent. À cette occasion, dans ce magnifique hôtel d’Estrées, en plein cœur de Paris, qui avait été acheté quatre ans auparavant par la Russie et sert depuis de résidence à ses ambassadeurs, le tsar Alexandre II offrit un bal en l’honneur de l’empereur Napoléon III et de l’impératrice Eugénie: père des réformes libérales en Russie (y compris l’abolition du servage) et artisan de l’expansion territoriale de mon pays vers l’Asie centrale, il était venu célébrer l’amitié franco-russe et, au-delà, l’ancrage de la Russie parmi les grandes puissances du continent européen.

120 ans après ce bal doublement impérial, au printemps 1987, je quittais Paris à l’arrière d’une limousine pour me rendre pour la première fois à Strasbourg. En poste en tant que conseiller politique à l’ambassade d’URSS à Paris, j’accompagnais l’ambassadeur Yakov Riabov, qui avait été invité à visiter le siège d’Adidas, situé à Landersheim, près de Saverne, au nord-ouest de Strasbourg, et j’avais suggéré que nous profitions de ce déplacement pour établir ce qui constitua de facto le premier contact officiel entre l’URSS et le Conseil de l’Europe. Je me souviens d’un excellent déjeuner à l’Auberge du Kochersberg, suivi d’une belle promenade sur une route champêtre bordée de champs de colza, jusqu’à notre arrivée au Palais de l’Europe. Nous y fûmes reçus fort courtoisement par Louis Jung, sénateur français (et alsacien), qui était à l’époque le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. J’avais déjà eu l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises à Paris, puisqu’il faisait également partie de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe occidentale, dont nous suivions attentivement les travaux. Notre entretien fut donc très cordial : le contact était établi, laissant augurer des échanges futurs dans un climat de confiance, même si aucune perspective politique précise ne fut tracée.

Gorbatchev: «Il faut développer les contacts avec cette organisation»

Dans mon télégramme de compte-rendu, je mis en exergue les efforts que faisait alors le Conseil de l’Europe, sous l’impulsion du même Louis Jung et du Secrétaire général Marcelino Oreja, pour œuvrer en faveur du rapprochement entre l’Est et l’Ouest. Cette politique d’ouverture s’appuyait sur la Convention culturelle européenne, à laquelle pouvaient adhérer tous les États européens, qu’ils soient membres ou non du Conseil de l’Europe : rassembler les pays du continent à travers la coopération culturelle, qui couvre de vastes domaines comme la culture, le patrimoine culturel, l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, mais aussi la jeunesse ou le sport, pouvait se révéler un moyen efficace de surmonter les blocages politiques encore très puissants à l’époque. Et surtout, je soulignais que cette organisation quelque peu méconnue portait en elle les idéaux de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit, qui étaient le nouveau cap vers lequel le Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), arrivé au pouvoir deux ans plus tôt, voulait emmener l’URSS, mettant ainsi fin à la guerre froide et à la séparation de l’Europe en deux blocs antagonistes. Plusieurs années plus tard, j’ai appris que ce télégramme avait connu un destin peu banal, puisqu’il était arrivé jusqu’au bureau de Mikhaïl Gorbatchev et qu’il était revenu, annoté de sa main, avec l’instruction : « Il faut développer les contacts avec cette organisation » !

Deux ans plus tard, le 6 juillet 1989, j’étais à nouveau en route pour Strasbourg. Cette fois-ci, je faisais partie d’un imposant cortège qui emmenait le même Gorbatchev, dans la foulée d’une visite d’État en France, prononcer un discours historique devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Ce discours reste encore aujourd’hui un témoignage capital pour l’Histoire et un modèle du genre.


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Alexander ORLOV
Né en 1948, formé à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou, Alexandre Orlov a fait une longue carrière d’abord dans les rangs de la diplomatie soviétique puis, après la fin de l’URSS, dans la diplomatie russe. Il a notamment été représentant permanent de la Russie auprès du Conseil de l’Europe de mai 2001 à janvier 2007, et à ce titre il a présidé les délégués des ministres pendant la présidence russe du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, entre mai et novembre 2006. Le point culminant de sa carrière a été les neuf ans passés à Paris comme ambassadeur de la Fédération de Russie auprès de la République française, d’octobre 2008 à octobre 2017.