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L’odeur de la robe
Rwanda – 1994-1995
Eliana CARVALHO
Organisation exclusivement européenne, le Conseil de l’Europe a pour priorité d’agir pour et par ses États membres. Mais, tout au long de son histoire, les valeurs qu’il incarne l’ont conduit à porter son attention sur des situations où les droits de l’homme ont fait l’objet de violations massives, bien au-delà de notre continent. Il dispose de certains instruments dont l’action dépasse largement les frontières européennes (comme la Commission de Venise ou le Groupe Pompidou), voire dont le mandat est précisément de se positionner en « fenêtre ouverte sur le monde » (comme le Centre Nord-Sud, basé à Lisbonne). Eliana Carvalho nous raconte son action avant et après le génocide du Rwanda.
Je garde dans mon grenier une vieille malle en bois ramenée d’Afrique dans laquelle j’entrepose des vêtements anciens ; je me dis qu’un jour, mes futurs petits-enfants les découvriront et liront, comme dans un journal intime, les événements familiaux et personnels que ces vêtements racontent. Parfois, j’ouvre la malle et effleure telle ou telle robe en laissant dévider le fil de mes souvenirs...
Mars 1994. « Un génocide est imminent au Rwanda » : telle est l’alerte lancée sans détour à la première réunion du Forum de Lisbonne. Je travaille depuis un an au Centre Nord-Sud à Lisbonne quand Hans-Peter Furrer, directeur des Affaires politiques, nous donne comme mission de mettre sur pied un Forum servant de lanceur d’alerte sur les questions des droits de l’homme. À cette première réunion, un représentant d’une ONG française, présent sur le terrain, relate le projet génocidaire en construction au Rwanda, pays empêtré depuis des décennies dans un antagonisme ethnique opposant Hutus et Tutsis. Il raconte la propagation rampante de l’idéologie raciste, la peur inculquée de l’Autre dans toutes les couches de la société, l’appel à exterminer tous les inyenzi, les cancrelats, appellation dont sont affublés les Tutsis. Le Forum relaie ces sombres prédictions dans les médias internationaux et auprès de ses partenaires. Mais la communauté internationale reste sourde aux signaux d’alarme qui se multiplient depuis des mois et tourne ostensiblement le dos à ce pays situé en Afrique de l’Est, dans la région des Grands Lacs.
Avril 1994. Après la mort du président du Rwanda dans un attentat, un gouvernement intérimaire composé d’extrémistes hutus prend le pouvoir et lance le coup d’envoi d’un génocide qui, en l’espace de quelques semaines, coûtera la vie à plus de huit cent mille personnes et jettera sur les routes des milliers de réfugiés.
Au Centre Nord-Sud, nous sommes atterrés. Au sentiment d’impuissance s’ajoute la colère face à l’inaction politique internationale ; nos lanceurs d’alerte n’ont plus de contact avec leurs partenaires locaux ; d’avril à fin juin, les nouvelles ne nous parviennent plus que par le biais des agences de presse internationales ; ce n’est qu’en juillet que la connexion est de nouveau rétablie avec nos interlocuteurs. Nous demandons un entretien au Secrétaire général Daniel Tarschys, nouvellement élu à son poste. Ce dernier balaie toute hésitation politique : le Conseil de l’Europe a le devoir de contribuer à faire reconnaître, au niveau international, la situation tragique vécue dans ce pays et la région. Les Pays-Bas se mobilisent immédiatement pour accueillir une conférence à haut niveau.
Septembre 1994. Se tient à La Haye la « Conférence internationale sur le Rwanda dans son contexte régional », organisée par le Centre Nord-Sud et ses partenaires, sous l’égide des Secrétaires généraux du Conseil de l’Europe et de l’Organisation de l’unité africaine. À cet événement se pressent tous les acteurs locaux, régionaux et internationaux désireux de contribuer à la paix et à la stabilité de ce pays meurtri, qui, alors que les plaies du génocide sont encore béantes, s’attelle déjà à sa reconstruction. À l’issue de cette conférence est adopté l’Appel de La Haye, qui lancera de nombreuses initiatives, dont le Tribunal pénal international pour le Rwanda et un fonds onusien d’aide à la région.
Février 1995. Suite à son rapport sur le Rwanda et la prévention des crises humanitaires, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe mandate l’un de ses membres à se rendre dans la région des Grands Lacs. Elle se tourne vers le Centre Nord-Sud pour l’organisation de cette mission. Au vu de mon implication dans le Forum de Lisbonne et la Conférence de La Haye, je suis chargée d’accompagner le parlementaire. Nous nous retrouvons à l’aéroport Charles-de-Gaulle et je sens dans son regard la surprise de voir une mission de cette envergure confiée à une si jeune personne ! Il semble rassuré quand je lui raconte mes racines africaines et le nombre de missions déjà effectuées sur ce continent. Sa vaste expérience politique et ses connaissances du swahili me rassurent également.
Nous atterrissons à Bujumbura, capitale du Burundi ; le pays est en proie à une guerre civile depuis 1993. Nous participons à la Conférence des Nations unies sur l’assistance aux réfugiés, aux rapatriés et aux personnes déplacées dans la région des Grands Lacs.
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Eliana CARVALHO
Pour la Portugaise Eliana Carvalho, ayant vécu toute son enfance et son adolescence en République du Congo, la protection des droits de l’homme qu’elle voit dénier dans ce pays devient un but et un défi professionnels. Elle entre en 1991 à l’Assemblée parlementaire (commission des questions juridiques et des droits de l’homme) avant de rejoindre le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, à Lisbonne. Elle y développera le dialogue entre l’Europe et l’Afrique sur les questions des droits de l’homme, en participant notamment au lancement du Forum de Lisbonne et du Prix Nord-Sud. Elle retourne au siège à Strasbourg en 2011 et travaille depuis à la direction des Ressources humaines.