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angle-left null From indifference to difference: a Bosnian story
Arrière plan de l'événement
13 septembre 2019

Vaincre l’indifférence : une histoire bosniaque

Bosnie et Herzegovine – 1997

Simona GRANATA-MENGHINI et Tanja RAKUSIC-HADZIC

Les accords de Dayton, signés à Paris le 14 décembre 1995, ont mis fin à la terrible guerre civile qui ravageait la Bosnie Herzégovine depuis avril 1992. Le Conseil de l’Europe s’est fortement impliqué dans la mise en œuvre du volet « droits de l’homme » des accords, en contribuant directement au fonctionnement des deux institutions créées, l’une pour prévenir les violations (le Médiateur), l’autre pour les réparer (la Chambre des droits de l’homme). Simona Granata-Menghini et Tanja Rakusic-Hadzic étaient parmi les juristes mis à disposition par l’Organisation à cet effet. Au cours de leur travail sur le terrain, elles ont vécu une expérience inoubliable.

 

13 octobre 1997. Ce matin d’automne à Sarajevo était comme tous les autres, pluvieux et triste. L’odeur de suie et de neige était persistante. Les nombreux poêles à bois et à charbon de la ville produisaient un smog nauséabond, alors que Sarajevo se préparait pour son deuxième hiver d’après-guerre sans chauffage central vraiment fonctionnel. Nous nous préparions à nous rendre à Bijeljina, une petite ville située à la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, pour visiter son tribunal de district, son tribunal militaire et sa prison. Nous étions deux personnes du bureau de la Médiatrice pour les droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine – Simona, l’adjointe de la Médiatrice, et Tanja, l’une des six juristes nationaux –, une collègue du bureau du Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, et notre chauffeur.

Les accords de paix de Dayton du 14 décembre 1995 mirent fin à la guerre et dotèrent la Bosnie-Herzégovine d’une toute nouvelle Constitution – l’annexe IV – qui établit un État composé de deux entités – la Fédération de Bosnie-Herzégovine[1] et la République serbe de Bosnie –, intégra la Convention européenne des droits de l’homme dans le système juridique bosniaque, la rendit directement applicable et établit, dans l’annexe VI, un double mécanisme pour la défense des droits de l’homme : le Médiateur pour les droits de l’homme et la Chambre des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe nomma les membres internationaux de la Chambre des droits de l’homme[2]. La Médiatrice fut nommée par l’OSCE sur désignation de la communauté internationale. La Commission européenne et la Cour européenne des droits de l’homme détachèrent un certain nombre de leurs propres avocats pour exercer successivement les fonctions de Médiateur adjoint des droits de l’homme et de greffier de la Chambre des droits de l’homme, respectivement, afin de contribuer à la mise en place de ces institutions bosniaques qui devaient être le pendant de celles de Strasbourg. Un bureau du Conseil de l’Europe a été ouvert à Sarajevo en avril 1996.

Le bureau de la Médiatrice pour les droits de l’homme commença à exercer en mars 1996. Au début de 1997, il avait ouvert une enquête dans l’affaire « M. c. République serbe de Bosnie » au motif d’une privation de liberté prolongée et a priori illégale. Les autorités de la République serbe de Bosnie avaient répondu positivement à notre demande de fournir tous les documents relatifs à la détention de M., et nous avions reçu un dossier assez volumineux comportant différents documents judiciaires, mais nous n’avions rien appris de nouveau, ou plutôt rien de plus que nous ayons déjà entendu de la mère de M., qui avait soumis la demande. Il y avait aussi un document spécifique qui n’était pas dans le dossier, et que nous voulions récupérer, s’il existait.

En fait, la mission n’était pas prévue à l’origine pour y inclure le cas de M. Il était prévu de discuter du cas « Zvornik 7 », que tout le monde dans le pays connaissait malheureusement très bien, car il était l’objet d’une grande attention de la part de la communauté internationale et de la presse. Mais Tanja voulait que l’on aille voir M. Elle insistait : « Simona, tu dois rencontrer cet homme. » Tanja était persuasive et elle avait aussi prouvé qu’elle avait systématiquement raison. Aussi, nous prîmes rendez-vous pour discuter de son dossier et lui rendre visite en prison.

L’histoire de M. faisait partie des histoires typiques de la guerre du melting-pot bosnien, à propos de gens qui, toute leur vie, avaient cru qu’ils incarnaient tout ce que la Bosnie symbolisait, avec ses habitants polyethniques, multiculturels et multireligieux, vivant ensemble depuis des siècles, nés et vivant dans ces communautés mixtes, nés dans des mariages où la nationalité et la religion ne jouaient aucun rôle. Cette croyance s’est révélée dramatiquement fausse au moment de la guerre. La tactique des partis politiques nationalistes au pouvoir de n’importe quel camp était en effet de faire croire aux gens qu’ils n’avaient de valeur que s’ils étaient de bons Serbes, de bons Croates ou de bons Bosniaques, et qu’ils devaient rester unis en tant que communautés opposées les unes aux autres. Les enfants issus de mariages ou de races mixtes, ces « bâtards », ne comptaient tout simplement pas.

 

[1].  Créée par les accords de Washington en 1994.

[2].  Résolution 93(6) sur le contrôle du respect des droits de l’homme dans les États européens non encore membres du Conseil de l’Europe.


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Simona GRANATA-MENGHINI
Diplômée en droit, elle était avocate au sein d’un cabinet juridique spécialisé en droit international à Milan, avant de rejoindre le Conseil de l’Europe en 1994 à la Commission européenne des droits de l’homme. De 1997 à 1999, elle a été la médiatrice adjointe des droits de l’homme pour la Bosnie-Herzégovine. Ensuite, elle est retournée à Strasbourg, où elle a travaillé à la Cour européenne des droits de l’homme de 1999 à 2000. En 2001, elle a rejoint la Convention de Venise en tant que chef de la division de la Coopération constitutionnelle. Depuis 2010, elle en est la secrétaire adjointe.

Tanja RAKUSIC-HADZIC
Née à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) en 1964, Tanja a connu un tournant majeur dans sa carrière, passant du droit commercial aux droits de l’homme immédiatement après la guerre en Bosnie-Herzégovine, lorsqu’elle a rejoint le bureau du Médiateur pour les droits de l’homme en 1996. Après quatre ans, elle a rejoint le bureau du Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine. En 2003, elle a rejoint le bureau du Conseil de l’Europe à Sarajevo et, un an plus tard, le siège du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Depuis 2007, elle est chargée de la coopération avec les États membres par le biais d’une assistance technique dans le domaine des prisons, de la police et de la probation, au sein de la direction générale des droits de l’homme et de l’État de droit, en tant que chef de l’unité de coopération en droit pénal.