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angle-left null Reconciling Europe with itself
Arrière plan de l'événement
16 septembre 2019

Réconcilier l’Europe avec elle-même

Sommet de Strasbourg – octobre 1997

Jacques WARIN

Quatre ans après le premier sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe à Vienne, un deuxième sommet a été organisé à Strasbourg les 10 et 11 octobre 1997, à l’initiative de la présidence française du Comité des ministres. Il fut l’un des événements marquants de l’année 1997, qui est restée dans l’histoire diplomatique comme « l’année des cinq sommets », au cours desquels des décisions cruciales ont été prises pour adapter l’architecture européenne aux bouleversements majeurs qu’avait connus notre continent depuis la chute du mur de Berlin. L'ambassadeur Jacques Warin fut la cheville ouvrière de la préparation du sommet en tant que représentant permanent du pays hôte.

Vendredi 10 octobre 1997. Assis au premier rang de l’hémicycle du Palais de l’Europe, aux côtés du ministre délégué aux Affaires européennes Pierre Moscovici, j’écoute le discours d’ouverture du deuxième sommet du Conseil de l’Europe, prononcé par Jacques Chirac. Je ressens un sentiment de satisfaction, et de soulagement : après des mois de travail acharné, place à l’événement que nous attendons tous !

Tout avait commencé pour moi six mois plus tôt, à mon arrivée à Strasbourg le 20 avril 1997. Après trente et un ans de carrière au ministère des Affaires étrangères, au cours de laquelle j’avais acquis une solide expérience de la diplomatie multilatérale aux Nations unies (d’abord à Genève puis à Rome, en tant qu’ambassadeur auprès de la FAO), ma nomination en tant que représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe était un défi intéressant à relever, puisque se profilait non seulement une présidence française du Comité des ministres, mais aussi – et surtout – la perspective du deuxième sommet de l’Organisation, quatre ans après celui de Vienne ! Je savais, d’après les contacts établis avec mon prédécesseur Michel Lennuyeux-Comnène, que la décision d’organiser le sommet avait été prise au plus haut niveau, suite à un intense « lobbying » de la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, présidée par Philippe Séguin, et ce, malgré les réticences du Quai d’Orsay. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le « Département » avait fini par prendre les choses en main, et c’est le ministre des Affaires étrangères en personne, Hervé de Charrette, qui était venu présenter, à la centième session du Comité des ministres le 5 mai, un ensemble de propositions articulées en deux parties (une déclaration et un plan d’action) qui constituaient le « menu » du futur sommet.

Ce sommet s’inscrivait dans un agenda européen très chargé, marqué par plusieurs rendez-vous au plus haut niveau politique :

– Le premier était le sommet de Lisbonne (2 au 3 décembre 1996), qui avait réuni les chefs d’État et de gouvernement des 54 pays membres de l’OSCE pour adopter une « Déclaration sur un modèle de sécurité commun et global pour l’Europe du xxie siècle » ;

– Le deuxième était le Conseil européen d’Amsterdam (16 au 17 juin 1997), avec à son ordre du jour l’adoption d’un nouveau traité pour l’Union européenne, adaptant et complétant celui conclu à Maastricht en décembre 1991 ;

– Le troisième « rendez-vous au sommet » était prévu à Madrid les 8 et 9 juillet 1997, où les dirigeants des 16 pays membres de l’Otan devaient décider, parmi les 10 pays d’Europe centrale et orientale candidats à l’adhésion, combien et lesquels seraient invités à rejoindre l’Alliance atlantique, et à quelle échéance ;

– C’était ensuite le Conseil de l’Europe qui, à Strasbourg, les 10 et 11 octobre 1997, devait – en sa qualité de seule organisation européenne dont l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale était non pas devant, mais en grande partie derrière lui – faire le bilan de l’évolution spectaculaire l’ayant conduit à passer de 23 à 40 États membres entre 1990 et 1996, afin de définir ses nouvelles priorités d’action en tant qu’organisation de la « Grande Europe » ;

– Et enfin, c’étaient à nouveau les Quinze qui, au Conseil européen de Luxembourg les 12 et 13 décembre 1997, devaient prendre les décisions appropriées en ce qui concerne l’élargissement de l’Union européenne aux 10 pays d’Europe centrale et orientale candidats, ainsi qu’à Chypre et à la Turquie.

Un « nouvel ordre européen »

Quelques années après la chute du mur de Berlin puis la disparition de l’URSS, « l’année des cinq sommets » devait accoucher d’un « nouvel ordre européen » et clarifier les rôles respectifs des principaux acteurs œuvrant sur la scène continentale. Fait nouveau : sans atteindre la transparence, les négociations se tenaient dans un environnement plus politisé – et médiatisé – que par le passé. Depuis les référendums organisés en France et au Danemark sur le Traité de Maastricht, les peuples s’intéressaient de plus en plus près aux décisions qui étaient prises en leur nom, et leurs dirigeants, aussi éclairés fussent-ils, disposaient de moins en moins d’un « chèque en blanc » pour agir à leur guise sur la scène internationale.

Dans un premier temps, l’Europe sortit cependant de mon radar, puisque le coup de poker tenté par le président Chirac et son Premier ministre Alain Juppé, à travers la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, se termina par un échec retentissant et le retour de la gauche au pouvoir en France, avec Lionel Jospin comme chef d’orchestre. Ce changement politique n’eut pas d’effet majeur sur le plan international, et les perspectives tracées avant le mois de juin 1997 demeurèrent inchangées.


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Jacques WARIN
Jacques Warin est ministre plénipotentiaire, à la retraite. Il était ambassadeur de France auprès du Conseil de l’Europe de 1997 à 2002. Diplomate de profession, il avait été auparavant ambassadeur, représentant permanent à Rome auprès de la FAO (1988-1992), consul général à Milan (1994-1997) et représentant permanent à Genève auprès de l’Organisation des Nations unies (1984-1988). Il est diplômé de l’Institut des études politiques de Paris (1960) et ancien élève de l’École nationale d’administration (1963-1966).