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angle-left null From “Mani pulite” to “Caviar-Gate”: the neverending fight against corruption
Arrière plan de l'événement
16 septembre 2019

La lutte sans fin contre la corruption

1994-1999

Gianluca ESPOSITO

Dans les années 1990, l’enjeu de la lutte contre la corruption s’est imposé sur le plan international, dans la foulée de l’opération « Mani pulite » en Italie, qui provoqua une prise de conscience générale des menaces que fait peser la corruption sur la démocratie. Cette question constitua l’un des sujets majeurs du sommet de Strasbourg en 1997. Il donna lieu à l’adoption de deux conventions clés, suivie de la création du « Groupe d’États contre la corruption » (GRECO). Cette success story est passée de 17 à 49 États membres et célèbre en 2019 son vingtième anniversaire.

« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt.
C’est la peur... peut-être la peur de perdre le pouvoir. »

John Steinbeck
 

17 février 1992. La police italienne prend sur le fait l’administrateur de l’entreprise publique Pio Albergo Trivulzio en train de toucher un pot-de-vin de 7 millions de lires de l’époque (environ 3 500 euros). Le montant fixé représentait 10 % d’un contrat. Cet événement allait déclencher l’opération « Mains propres ». Cette enquête majeure contre la corruption politique a touché l’ensemble du pays et provoqué la chute de toute une élite politique.

Quelques années plus tard, fraîchement diplômé en droit, je prenais mon premier emploi dans un cabinet d’avocats à Naples, ma ville natale. Les procès dans le cadre de l’opération « Mains propres » étaient encore en cours dans tout le pays. Le cabinet d’avocats dans lequel je travaillais représentait en justice un ancien ministre de la Santé italien, qui fut par la suite condamné pour des faits de corruption. En tant que jeune associé, j’eus la chance de participer à ce grand procès, qui me donna un aperçu unique du fonctionnement de la corruption politique et des ressorts, y compris psychologiques, qui la déclenchent.

De manière générale, dans les cas de corruption politique, qui repose sur l’exercice du « pouvoir » et de l’autorité publique, les politiciens impliqués tendent à brouiller les limites entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Un comportement illégal et contraire à l’éthique devient ainsi presque justifié à leurs propres yeux. Et pourtant, lorsqu’il y a corruption politique, c’est l’intérêt privé qui l’emporte sur l’intérêt public, ce qui provoque une perte de confiance dans leurs propres institutions politiques de la part des citoyens. La démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit sont menacés, les économies s’effondrent, ouvrant la porte aux populistes de toutes sortes, aux crises économiques, aux discriminations et aux injustices.

Des procédures spécifiques selon les crimes

J’ai intégré le Secrétariat du Conseil de l’Europe en septembre 1995. Un certain nombre de collègues travaillaient déjà à l’élaboration d’un programme d’action contre la corruption, demandé par les ministres européens de la Justice lors de leur 19e conférence, à Malte, en 1994.

Il est important de rappeler à ce stade qu’à partir du milieu des années 1980, l’action du Conseil de l’Europe contre la criminalité connut un tournant majeur. Alors qu’il travaillait jusque-là selon les règles et procédures traditionnelles et horizontales de la coopération internationale – applicables à tous les crimes –, le Conseil s’orienta peu à peu vers l’idée selon laquelle la complexité et la spécificité croissantes de certains crimes exigeaient des règles et procédures spécifiques selon les crimes. Le débat était à l’époque très vif au sein du Secrétariat et entre les États membres. Il y avait ceux qui estimaient que les mêmes règles et procédures élaborées au niveau international devaient s’appliquer quel que soit le crime. D’autres, dont j’étais, n’étions pas du même avis. Les crimes devenaient de plus en plus complexes et transnationaux : chaque catégorie nécessitait donc, selon nous, une réponse spécifique. La cybercriminalité en est probablement le meilleur exemple, car il était et reste impensable de n’y faire face qu’au moyen des pouvoirs d’enquête traditionnels et des mécanismes de coopération internationale : ces derniers sont trop lents et inadaptés à l’environnement du net dans lequel les cybercriminels opèrent. C’est pour faire face à ce constat qu’a été créée la Convention sur la cybercriminalité.

L’approche axée sur la spécificité des crimes finit par s’imposer, sans qu’aient pour autant été abandonnés les travaux tout aussi importants sur la coopération internationale « horizontale » en matière pénale. C’est ainsi que toute une série de nouvelles conventions virent le jour, telles que celles sur la lutte contre le blanchiment d’argent (et par la suite le financement du terrorisme), la corruption, la cybercriminalité, le terrorisme, la traite des êtres humains, les abus sexuels et l’exploitation des enfants, la violence à l’égard des femmes, la contrefaçon de médicaments, les infractions liées aux biens culturels, etc. Ces traités (et d’autres), dont bon nombre s’accompagnent d’un mécanisme de « monitoring », confèrent encore aujourd’hui au Conseil de l’Europe une place à part sur la scène internationale et lui donnent un avantage comparatif dans ces domaines.

Peu après mon entrée au Conseil de l’Europe, j’eus le plaisir de rejoindre le Secrétariat du Groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC). Doté d’une équipe de quatre personnes, le GMC travaillait en transversal, aussi bien pour les thèmes qu’il traitait que pour les structures administratives avec lesquelles il collaborait : il pouvait ainsi tirer profit de l’expertise de différents pans du Secrétariat, un modèle qui fut ensuite répliqué dans d’autres secteurs.

Les premiers débats au sein du GMC firent apparaître une autre dimension du thème de la corruption qui ne manqua pas de me surprendre : en bref, certains gouvernements pensaient en ce temps-là que la corruption, en particulier dans le monde politique, ne concernait que certaines parties de l’Europe, tandis que d’autres en étaient immunisées. Selon eux, la corruption était une affaire de « culture ».


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Gianluca ESPOSITO

Gianluca Esposito est le secrétaire exécutif du Groupe d’États contre la Corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe. Il a commencé sa carrière au sein de l’Organisation en 1995, à la direction des Affaires juridiques, où il a notamment contribué à l’élaboration des conventions contre la corruption et à la création du GRECO. Il a ensuite œuvré en tant que conseiller juridique au cabinet du Secrétaire général de 2005 à 2009, avant de poursuivre sa carrière au Fonds monétaire international à Washington, de 2009 à 2015. À son retour au Conseil de l’Europe, il a été nommé chef du service de l’Égalité et de la Dignité humaine, avant de revenir au GRECO.