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Arrière plan de l'événement
13 septembre 2019

L’aube ibérique

Portugal et Espagne – 1974-1977

Roger MASSIE

En 1974, la Révolution des œillets mettait fin à un demi-siècle de dictature au Portugal. Parti de l’armée et massivement soutenu par le peuple, ce « printemps de la démocratie » allait emporter sur son passage les régimes autoritaires en place en Grèce (dès l’été 1974) puis en Espagne (l’année suivante). Le Conseil de l’Europe a accompagné les processus de transition vers la démocratie dans ces trois pays, en réintégrant la Grèce, puis en accueillant le Portugal et l’Espagne.

 

Le terme Brexit ne sera inventé qu’une quarantaine d’années plus tard. Mais un éventuel « Strexit » décrit néanmoins avec précision la situation du personnel à l’été 1973, marquée par une forte migration de Strasbourg à Bruxelles. Même les Irlandais ont participé à l’exode qui a suivi l’élargissement de la CEE cette année-là.

Peter Leuprecht, que j’avais connu pendant mes études dix ans auparavant, était alors chef de division au Secrétariat de l’Assemblée parlementaire. Il avait besoin d’un remplaçant pour Simon Nuttall, l’un de ces migrants, et mon transfert du ministère de l’Éducation et de la Culture a eu lieu. Simon, dont la carrière à la Commission l’a ensuite élevé au rang de directeur responsable de la Chine et du Japon, a fait tout ce qu’il a pu pour m’informer à l’avance, mais j’étais encore mal préparé pour la tâche à venir. Bien que les deux commissions parlementaires dont je me suis trouvé responsable aient été relativement discrètes, celle qui s’occupait des États européens non membres, qui s’appelaient auparavant « Nations européennes captives », s’est révélée être un défi qui allait m’occuper bien au-delà de mes espérances.

Willy Brandt était encore chancelier allemand à l’époque et poursuivait fermement une politique de détente. Il s’agissait d’une époque où la Conférence d’Helsinki, qui promouvait le dialogue Est-Ouest, s’acheminait vers l’adoption de son Acte final et, de l’avis de certains, il ne suffisait pas de débaptiser les « Nations captives » en « États non membres » pour créer un instrument mieux adapté aux besoins de l’époque. De fait, les restrictions imposées à l’activisme indu nous ont empêchés de disposer d’un personnel suffisant et il a fallu occulter nombre de questions liées aux droits de l’homme. On n’a pas beaucoup entendu parler, par exemple, de la souffrance durable du peuple tchèque après l’extinction brutale du printemps de Prague cinq ans auparavant.

En dépit de cela, les délégations nationales avaient tendance à désigner des membres plus jeunes et plus ouverts d’esprit au sein de la commission. Cette nouvelle génération a su compenser les réactions des « personnages froids et belliqueux » parfois reliés à des corps apparemment « revanchards » comme le Bund der Vertriebenenen (Ligue allemande des personnes expulsées), ce qui nous a vite valu d’être considérés comme quelque peu controversés. Notre président était en outre le très respecté conservateur libéral suisse Walther Hofer, professeur d’histoire contemporaine, dont le carnet d’adresses comprenait un certain nombre de dissidents émigrés. Il n’était pas particulièrement enclin à la détente, mais toujours prêt à tenir des audiences.

La première réunion de la commission nouvellement constituée eut lieu à Munich en septembre 1973. Il n’y avait aucune mention d’Iberia dans les notes de passation de pouvoirs de mon prédécesseur, mais le Portugal était mentionné par John Mendelson, un ouvrier de gauche, lors de l’échange. En fait, c’était le principal point à l’ordre du jour au siège des radios américaines, Radio Liberty et Radio Free Europe. Mendelson a demandé si des émissions étaient également diffusées dans le Portugal non démocratique. Non, lui dit-on, ces radios sont spécialisées dans le ciblage du monde communiste. Mais en soulevant la question, il souligna une lacune importante. Il prit également involontairement une option sérieuse en étant nommé premier rapporteur sur le Portugal immédiatement après la Révolution des œillets – ou coup d’État des capitaines – le 25 avril de l’année suivante. Sa tâche marqua également mon implication et m’amena à participer aux premières missions d’enquête de l’Assemblée au Portugal et en Espagne, qui débutèrent en 1974.

À la veille même de ces nouveaux développements, un événement extrêmement violent se produisit. Le 20 décembre 1973, une énorme voiture piégée explosa à Madrid, causant la mort immédiate du Premier ministre du général Franco, l’amiral Carrero Blanco. Cet assassinat propulsa l’Espagne sous les feux de la rampe internationale. Après des années de stagnation politique et d’immobilisme répressif – sur lesquelles l’Occident avait fermé les yeux – la péninsule ibérique était à nouveau à l’ordre du jour de l’Europe et du monde.


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Roger MASSIE
Fils de militaire anglais, né en Inde mais alsacien d’adoption, Roger Massie a longtemps travaillé pour le Conseil de l’Europe, notamment en tant que secrétaire de la commission des questions politiques de l’Assemblée parlementaire, puis en tant que secrétaire adjoint du Comité des ministres. Il est actif dans l’Église anglicane aussi, en tant que chanoine (laïc) de sa branche rwandaise. Féru d’histoire, il s’efforce depuis sa retraite d’approfondir ses connaissances et a publié des articles sur ce sujet ainsi que dans les domaines militaires et littéraires.