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Une nouvelle ambition pour le continent
Sommet de Varsovie – mai 2005
Denis HUBER et Hanna MACHIŃSKA
Après Vienne en octobre 1993 et Strasbourg en octobre 1997, les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe se sont réunis une troisième fois au plus haut niveau politique les 16 et 17 mai 2005 à Varsovie, à l’invitation de la présidence polonaise du Comité des ministres. Dans un contexte marqué à la fois par l’élargissement et l’approfondissement de l’Union européenne, le sommet de Varsovie a fixé l’agenda du Conseil de l’Europe pour la décennie qui a suivi, a renforcé sa coopération avec ses principaux partenaires, et a enclenché un processus de réforme de ses structures et de ses méthodes de travail.
Le 1er février 2017, un certain nombre de collègues et moi-même avons reçu une « lettre d’adieu » envoyée par notre collègue et amie Hanna Machinska, qui avait été – à différents titres – la voix et l’image du Conseil de l’Europe en Pologne depuis plus d’un quart de siècle. Les échanges qui ont suivi cette triste nouvelle nous ont remis en mémoire bien des souvenirs. Nous avions vécu ensemble la main tendue par le Conseil de l’Europe aux pays autrefois séparés de lui par un « rideau de fer » de sinistre mémoire, la réconciliation des moitiés ouest et est du continent, et le chemin parcouru depuis, avec son cortège d’espoirs et de progrès, mais aussi d’attentes et d’inévitables déceptions, voire de craintes d’un retour en arrière. Ce chemin connut son point culminant avec le troisième sommet du Conseil de l’Europe, où Hanna et moi avions été aux premières loges, respectivement en tant que directrice du bureau d’information du Conseil de l’Europe à Varsovie et en tant que secrétaire des groupes de travail successifs des délégués des ministres à Strasbourg. Cela nous a donné l’idée d’en raconter l’histoire, à deux voix.
En se penchant sur la quinzaine d’années qui se sont écoulées depuis le troisième sommet du Conseil de l’Europe, qui s’est tenu les 16 et 17 mai 2005 à Varsovie, on peut tirer profit de notre recul pour évaluer ce qui a été réellement accompli. La Pologne figurait alors comme l’un des nouveaux membres de l’Union européenne, gagnant en confiance, et aspirant à un avenir européen dans lequel les barrières et les divergences s’éroderaient, y compris en matière de droits de l’homme.
Ce troisième sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe s’est déroulé durant la période initiale de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne et la fin de sa présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Les priorités de la présidence résultaient en grande partie des défis auxquels les États membres du Conseil de l’Europe avaient à faire face dans leur ensemble. L’adhésion au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne bénéficiaient d’un appui considérable du peuple en Pologne à cette époque. La participation à ces institutions était perçue comme un moyen de surmonter les divergences en Europe, avec la Pologne devenant un membre à part entière du système des États démocratiques. Pour tous les pays d’Europe centrale et orientale, l’adhésion à l’Union européenne et au Conseil de l’Europe allaient de pair, tous deux visant à renforcer la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit dans leurs propres États et à travers le continent.
Le temps et la distance nous permettent toutefois également de percevoir les limites de ce sommet. Aujourd’hui, ces mêmes objectifs sont mis à l’épreuve, à la fois à l’échelon national dans les États membres, et également à l’échelle des institutions européennes.
Alors que l’Union européenne venait de connaître le plus grand élargissement de son histoire et espérait franchir dans la foulée un pas capital dans son développement en se dotant d’une Constitution, un enjeu majeur du sommet de Varsovie était d’établir les contours – et de créer les conditions – d’un partenariat ambitieux entre les deux organisations nées du même projet politique européen, soixante ans presque jour pour jour après la fin de la Deuxième Guerre mondiale en Europe.
Le lièvre et la tortue
L’histoire du troisième sommet du Conseil de l’Europe a commencé très tôt, quinze mois à peine après la tenue du deuxième. C’est l’Assemblée parlementaire qui joua le rôle du lièvre, en adoptant dès janvier 1999 sa recommandation 1394 dans laquelle, tirant les leçons d’une décennie de bouleversements politiques majeurs, elle élaborait un ambitieux concept intitulé « Europe : un projet continental » et demandait au Comité des ministres « de promouvoir un troisième sommet des chefs d’État qui serait consacré à cette approche continentale de la construction européenne ».
Pour le Comité des ministres, cette recommandation venait beaucoup trop tôt. Tous ses efforts étaient en effet consacrés à la mise en œuvre du plan d’action adopté par le sommet de Strasbourg en octobre 1997 et à la préparation du cinquantième anniversaire du Conseil de l’Europe, célébré avec éclat en mai 1999 à Budapest[1]. Les choses avaient été menées bon train, et pour qui connaît la lenteur et la difficulté des négociations diplomatiques, toute comparaison avec une tortue aurait relevé d’une flagrante injustice !
Le premier signe d’intérêt pour l’organisation d’un troisième sommet est venu un an plus tard de l’ambassadeur d’Italie Pietro Ago, lors de nos discussions sur la préparation de la présidence italienne du Comité des ministres (mai-novembre 2000). Nous menâmes, en cercle très restreint, une réflexion sur les perspectives et le contenu possibles d’un tel sommet, et l’ambassadeur Ago entreprit de convaincre ses autorités d’inclure ce projet dans le programme de leur présidence. L’opération fut couronnée de succès, puisque les priorités présentées au Comité des ministres par le ministre italien des Affaires étrangères Lamberto Dini quelques mois plus tard comportaient un ambitieux programme de réformes institutionnelles, incluant la tenue d’un troisième sommet et l’institutionnalisation des réunions des États membres du Conseil de l’Europe au plus haut niveau politique (à une fréquence de quatre ans, ce qui donnait pour horizon l’automne 2001 pour le troisième sommet).
[1]. Par une heureuse coïncidence, la Hongrie – premier pays d’Europe centrale et orientale à avoir adhéré à l’Organisation, un an à peine après la chute du mur de Berlin – exerçait alors la présidence du Comité des ministres.
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Hanna MACHIŃSKA
Après avoir étudié et enseigné le droit à l’Université de Varsovie, Hanna Machinska a ouvert le bureau d’information du Conseil de l’Europe à Varsovie en 1991, et l’a dirigé jusqu’en janvier 2017, tout en exerçant également les fonctions de représentante du Conseil de l’Europe auprès du bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE. À ce titre, elle a été très impliquée dans la préparation du troisième sommet du Conseil de l’Europe et dans l’organisation d’événements autour du sommet, ainsi que dans la mise en œuvre des priorités de la présidence polonaise du Comité des ministres entre novembre 2004 et mai 2005. Elle exerce depuis le mois de septembre 2017 les fonctions d’adjointe au médiateur/défenseur des droits de l’homme de la République de Pologne.
Denis HUBER
Entré dans la carrière diplomatique en 1990 au ministère français des Affaires étrangères, Denis Huber a rejoint le Conseil de l’Europe en 1993. Il y a notamment acquis une expérience de dix ans au secrétariat du Comité des ministres, en étant directement impliqué dans la préparation et le suivi des deuxième et troisième Sommets des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe. Entre 2006 et 2012, il a été en poste à Belgrade, en tant que représentant spécial du Secrétaire général en Serbie, puis à Lisbonne, en tant que directeur exécutif du Centre Nord-Sud. De retour à Strasbourg, il a été successivement affecté au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, à la direction générale de l’Administration, puis au Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants (« Groupe Pompidou »). Il est l’auteur du livre Une décennie pour l’Histoire : le Conseil de l’Europe 1989-1999.