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angle-left null Fighting against violence
Arrière plan de l'événement
17 septembre 2019

Combattre les violences

2002-2012

Maud de BOER-BUQUICCHIO 

Défendre les droits de l’homme, c’est apporter une attention toute particulière à ceux qui en ont le plus besoin, à ceux qui sont les plus vulnérables. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe s’est fortement engagé, depuis le début du xxie siècle, dans la lutte contre la traite des êtres humains et contre la violence à l’égard des femmes, ainsi que dans la protection des enfants contre les châtiments corporels et les violences sexuelles. Maud de Boer-Buquicchio, Secrétaire générale adjointe de 2002 à 2012, a porté ces sujets avec tout son cœur et toute son énergie.

Lorsque j’ai fait campagne pour devenir Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, il n’y avait pas de description officielle du poste et je n’étais pas censée avoir de programme particulier, la tâche principale étant de fournir un soutien global au Secrétaire général. Alors que je traversais la rivière de la Cour européenne des droits de l’homme, dont j’avais été la greffière adjointe, vers le Palais de l’Europe pour assumer les fonctions de Secrétaire générale adjointe, je ne transportais dans mon sac qu’un simple presse-papier composé de deux pierres superposées en forme de canard fait par l’un de mes enfants, et une expérience de trente-trois années intenses au service de la cause des droits de l’homme en Europe.

Les nombreuses années que j’avais passées à creuser dans les affaires portées devant la Commission et la Cour européennes des droits de l’homme par des personnes se plaignant de violations des droits de l’homme ont certainement laissé leur empreinte sur la personne que j’étais alors et celle que je suis encore aujourd’hui. En tant que « juriste » à la Commission, j’avais passé des heures à examiner des plaintes, parfois futiles, mais dont la plupart étaient des descriptions déchirantes d’injustices. C’était un travail solitaire, mais je ne me suis jamais sentie vraiment seule. En lisant les dossiers, j’essayais de me mettre à la place de ces gens, et mon bureau était rempli de leur présence, de leurs histoires, et même parfois de leur voix. L’indignation et la compassion étaient des émotions que je devais gérer et transformer en analyses juridiques pointues, en réponses qui pourraient convaincre les commissaires et les juges d’appliquer la justice et, surtout, en moyens de prévenir des cas semblables à l’avenir. J’étais particulièrement motivée lorsque les victimes de violences et d’abus étaient des enfants et des femmes. Le fait d’être exposée aux nombreuses dimensions des droits de l’homme au cours de ma carrière à la Commission et à la Cour a sans aucun doute façonné ma vision de la mission du Conseil de l’Europe dans son ensemble.

En traversant ce pont, j’avais deux idées en tête. J’étais fermement convaincue qu’une approche holistique était nécessaire pour renforcer l’efficacité générale de la protection des droits de l’homme en Europe, une approche qui devait impliquer le niveau politique. Cela signifiait que je devais éviter de laisser la Cour face au vide ; cela signifiait que je devais mettre l’accent sur le rôle des mesures préventives ; cela signifiait aussi que je devais veiller à l’exécution des arrêts, dont la supervision était entre les mains de l’organe exécutif de l’Organisation : le Comité des ministres.

J’étais également convaincue que, pour être pertinent et efficace, le Conseil de l’Europe devait jouer sur ses points forts dans ses conventions et mécanismes conventionnels, dont la CEDH était un brillant exemple. C’est quelque chose qui, à mon avis, est toujours vrai aujourd’hui. Le dilemme était et reste encore de trouver le juste équilibre entre la garantie de la mise en œuvre des traités existants et l’élaboration de nouveaux traités pour faire face aux défis non résolus ou émergents.

Lorsque j’ai pris mes fonctions de Secrétaire générale adjointe en 2002, le Comité des ministres était certainement favorable à la première idée. Quant à la deuxième, j’étais convaincue que, malgré le dilemme qu’elle posait, de nouveaux traités étaient absolument nécessaires pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et des enfants.

En 1997, la déclaration finale et le plan d’action adoptés lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement à Strasbourg faisaient en effet référence à la nécessité d’investir dans l’élimination de la violence à l’égard des femmes et de prévenir et de combattre l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants. Malgré une prise de conscience croissante de l’importance de la lutte contre ces fléaux, les initiatives ont stagné, tandis que les normes détaillées et contraignantes faisaient toujours défaut et que les progrès étaient lents. J’ai donc fait la chose la plus évidente : j’ai décidé d’utiliser ma nouvelle position privilégiée pour convoquer, mobiliser, convaincre, influencer, et enfin faire avancer les choses dans ces domaines. En traversant ce pont, j’étais déterminée à le faire de manière cohérente et systématique, en utilisant, à cette fin, mes contacts avec les gouvernements, les parlements, les autorités locales, la société civile, les défenseurs des droits de l’homme, les organisations internationales et les médias.

Lutter contre la traite des êtres humains

« Les êtres humains ne sont pas à vendre », était le premier slogan que j’ai commencé à marteler sur toutes les scènes internationales et nationales. Depuis le début des années 1990 et pendant plus d’une décennie, le Comité directeur pour l’égalité des sexes a déployé des efforts considérables et acquis une solide expertise en matière de prévention et de lutte contre l’exploitation sexuelle des femmes, jetant ainsi des bases solides pour l’élaboration d’un nouveau traité. En 2002, l’Assemblée parlementaire a lancé une campagne contre la traite des femmes. Un an plus tard, l’Assemblée a recommandé l’élaboration d’une convention contre la traite des êtres humains en général.

Mon objectif de promouvoir l’élaboration d’une convention qui maintiendrait les droits des victimes au centre de ses préoccupations est devenu une croisade qui m’a menée en de nombreux lieux : aux conférences ministérielles sur l’égalité des sexes à Skopje (2003) et à Bakou (2004), à l’OSCE à Vienne, aux Nations unies à New York et Genève, à l’Union européenne à Bruxelles et dans de nombreuses autres capitales européennes.

Les négociations sur le projet de convention étaient loin d’être faciles et nécessitaient souvent un petit coup de pouce, que j’ai été heureuse d’apporter. Le groupe d’experts chargé de préparer le projet a dû se réunir huit fois avant de pouvoir se mettre d’accord sur le texte qui serait transmis à l’Assemblée parlementaire pour avis, puis au Comité des ministres pour adoption. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts pendant ces longues négociations. Et quand les discussions devenaient houleuses, comme elles l’ont parfois été, j’ai eu la crainte que le projet ne se noie. C’était au moment où l’Union européenne s’élargissait rapidement et où l’idée d’une position commune de tous les États membres commençait à peser très lourdement à la table des négociations. Il a fallu beaucoup de persuasion avant qu’une question telle que l’octroi de permis de séjour aux victimes de la traite pût être adoptée. Et même à cette époque, il fallait faire preuve de diplomatie et de persévérance pour surmonter les tentatives visant à exclure les États membres de l’Union européenne des mécanismes de suivi. La contribution des parlementaires et de la société civile a permis de conserver certaines des dispositions les plus importantes du texte. Il en a été de même des efforts inlassables de nombreux collègues du Secrétariat qui ont piloté et soutenu ce travail.

Nous avons été très heureux de célébrer l’adoption d’un traité historique au Sommet de Varsovie en 2005, un traité qui compte aujourd’hui quarante-sept États parties et qui est devenu une référence mondiale.


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Maud de BOER-BUQUICCHIO 
Juriste de formation, elle a rejoint le Conseil de l’Europe en 1969 et a travaillé dans différents services au sein du mécanisme de protections des droits de l’homme mis en place par la Convention européenne des droits de l’homme. En 1998, elle est élue greffier adjoint de la Cour européenne des droits de l’homme. De 2002 à 2012, elle a été Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, faisant d’elle la première femme élue à ce poste. Elle est présidente de la Fédération européenne pour les enfants disparus et sexuellement exploités (« Missing Children Europe ») et, le 8 mai 2014, elle a été nommée rapportrice spéciale des Nations unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants.